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Edito Newsletter #2 par Yacine Badday


Les Scénaristes de Cinéma Associés comptent désormais 160 membres. L’association accueille un nombre croissant de scénaristes et de profils différents, avec autant de visions de notre métier, mais aussi de notre collaboration avec les réalisateurs et productrices (voire l’inverse), ou de notre place dans la conception, la fabrication puis la promotion des films. La question se pose alors tous les jours dans nos échanges, mais aussi dans la manière dont nous devons parler de notre métier : comment défendre au mieux notre travail, sans laisser penser que tout ne serait que scénario dans un film ? Quelle ligne tenir entre l’auto-effacement qui ne ferait de nous que les chanceux accoucheurs d’un talent plus grand que le nôtre et une vision « scénaro-centrée » du cinéma, tout aussi périlleuse, qui réduirait la réalisation à une étape d’exécution ou de simple illustration ?

Au milieu de ces questionnements, il demeure l’envie de battre en brèche une vision du scénariste qui serait cantonné à un poste de « préposé technique à la mise en récit ». Une conception dans laquelle le scénario se réduirait à un objet de financement, solide et bien ficelé, permettant d’obtenir le plus de fonds possible pour commencer à faire « vraiment » du cinéma. Bien au contraire, il nous est essentiel de défendre le fait que, au-delà de l’intrigue et de la dramaturgie, le scénario articule déjà des envies thématiques et des désirs de mise en scène qui sont constitutifs du film à venir. Et lorsqu’on parle de « tension » durant l’écriture, celle-ci n’est peut-être pas seulement narrative, mais se trouve peut-être aussi dans ce dialogue permanent entre les images rêvées, mais non encore survenues, et le sens, voulu, mais toujours en gestation. Aussi, lorsque les auteurs et autrices collaborent de la meilleure des manières, leur travail commun sert à initier un mouvement créatif qui pourra se déployer et s’enrichir de l’écriture jusqu’à la fin de la postproduction.

Nous nous retrouvons aussi sur le fait qu’écrire au cinéma, c’est avant tout écrire « avec », « pour » ou, disons « vers » un réalisateur, une réalisatrice. Pas dans une relation hiérarchique ou de subordination, non. Plutôt dans l’idée d’une écriture qui est en permanence tournée vers l’autre, qui ne fait qu’appeler une réponse (ou une contradiction !), dans un mouvement d’allers-retours proche des meilleures amitiés épistolaires. Écrire, c’est chercher avec le réalisateur ou la réalisatrice ; accepter d’être perdu ensemble au milieu de nulle part ; ou faire parfois le choix de partir de son côté en éclaireur. C’est glisser en contrebande (et après tout, tant mieux) des éléments personnels, voire autobiographiques, qui viendront irriguer incognito tout le film. Mais c’est aussi accepter de ne pas être dans la complicité à tout prix. C’est confronter le réalisateur ou la réalisatrice à ses impasses, ses contradictions. C’est « tricoter » longuement à deux des idées que le réalisateur ou la réalisatrice devra défendre seul(e) face à la production, aux commissions, aux chefs de poste et, plus tard, dans le meilleur des cas, devant les spectateurs.

« Writing about music is like dancing about architecture », aurait déclaré (si on peut se fier à Google) Elvis Costello. Le défi est similaire quand il s’agit d’écrire des images, de tenter de rendre bouleversants pour nos lecteurs et lectrices un simple regard ou une porte fermée. Comment éviter deux écueils : la littérature qui serait une fin en soi, et un style télégraphique qui ne ferait pas même vibrer un algorithme ? Comment donner envie à tous et toutes de la voir un jour filmée, cette fameuse porte fermée ? La réponse est heureusement différente selon les films. Elle se redéfinit selon les collaborations. Mais durant la longue période de développement, alors que les auteurs et autrices ne peuvent compter que sur la confiance d’un producteur, d’une productrice, il n’est heureusement pas question que de rebondissements ou de structure. Mais aussi de regards, de géographie, de physionomie, de mise en espace, de tempo, d’ellipses… En résumé, de la manière dont le scénario pourra laisser entrevoir, deviner, le film à venir.

Le simple respect du scénario ne peut et ne doit pas être le seul horizon d’un film. Mais le scénario est chronologiquement la première et, de loin, la plus longue écriture d’un film. En bref, si elle ne doit pas être définitive, cette étape n’en est pas moins fondatrice. Et si nos méthodes, nos sensibilités, nos registres de cinéma diffèrent, nous aimons penser que nous partageons certaines croyances qui sont au cœur du discours porté par le SCA. Notamment cette conviction que, lorsque nous cheminons avec les réalisatrices et les réalisateurs, dans une relation faite d’entente artistique et d’imaginaire partagé, nous nous attachons à « rêver » tout un film, et pas seulement son intrigue.

Yacine Badday, scénariste, élu au conseil du SCA

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