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Observatoire de la Liberté de Création

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“Déprogrammer une œuvre est un renoncement, pas un acte de courage” Tribune publiée dans Libération

Le SCA fait partie de l’Observatoire de la liberté de création aux côtés de l'Acid, Addoc, Aica, CGT spectacle, Fedelima, Fnar, les Forces musicales, LDH, Ligue de l’enseignement, SCA, SRF, SFA, Snap-CGT.

Trois déprogrammations récentes ont attiré l’attention de l’Observatoire de la liberté de création. Il s’agit du film les Amandiers de Valeria Bruni Tedeschi, retiré de certains écrans, de la pièce de Laurène Marx « Pour un temps sois peu », qui devait se jouer ce mois-ci au théâtre 13, dans une mise en scène et une incarnation par une comédienne cisgenre, et de l’exposition de Bastien Vivès au Festival International de la bande dessinée à Angoulême, mis en cause pour certaines de ses œuvres antérieures et certains de ses propos publics.

Le diffuseur qui choisit de prendre une œuvre en charge s’engage, prend la responsabilité de montrer l’œuvre au public. Il la prend par rapport à l’œuvre, aux auteurs, structures, co-auteurs, metteurs en scène, comédiens, techniciens, compagnies, et la prend vis-à-vis du public auprès duquel il la promeut en lui faisant la promesse que celui-ci pourra accéder à l’œuvre qui va advenir. Cette promesse ne peut être rompue par l’Etat, ou par la Ville dont dépendrait le lieu de diffusion, et encore moins par celui qui a choisi l’œuvre. Car il a conclu une sorte de contrat avec le public. Fort de cette promesse, le public qui répond à l’appel de l’œuvre pourra y accéder et construire sa propre opinion à son sujet. 

À cet égard, la critique est libre. Chacun peut discuter un choix de programmation, pour des raisons qui relèvent de son opportunité politique, sociale, sociétale, ou de ce qu’elle fait, performe, ou tient comme discours. Le monde de l’art n’est pas un îlot social exempt de toute reddition de comptes et doit accepter de se confronter à la pluralité des opinions.

Si la diffusion de l’œuvre ou l’œuvre elle-même suscitent une opposition, le diffuseur peut, et à notre sens doit, organiser une discussion : le public, éclairé par son propre rapport à l’œuvre, par son propre jugement – et non ce que d’autres en disent – aura ainsi la possibilité de s’exprimer. Et le programmateur doit accepter, au cours de ce débat, de voir ses choix contestés. La culture ne doit pas être un lieu de pouvoir, mais de questionnement, d’échange et de partage.

Si la demande de déprogrammation repose sur le fait que l’œuvre montrée serait passible de la loi, c’est le juge qu’il faut saisir : lui seul peut légalement restreindre la liberté de création et de diffusion et engager la responsabilité du diffuseur ou des auteurs. Et les organisations qui composent l’Observatoire, et en particulier la LDH, se réservent d’ailleurs d’intervenir à l’instance, soit pour défendre l’œuvre injustement critiquée, soit, à l’inverse, pour faire condamner des œuvres qui, par exemple, sous couvert de fiction, diffusent des discours explicitement injurieux ou discriminatoires.

Dans ce contexte, il nous paraît essentiel de rappeler que la liberté de création et de diffusion des œuvres est une liberté fondamentale protégée par la loi du 7 juillet 2016. Toute limitation de cette liberté est strictement encadrée par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. La restriction doit être prévue par la loi, nécessaire dans une société démocratique et strictement proportionnée à l’intérêt protégé. L’entrave à ces libertés est même un délit prévu par l’article L 431-1 du Code pénal à certaines conditions (concertation, menaces, violences, dégradations…).

Il nous paraît aussi important de rappeler ce qu’est une censure. C’est d’abord l’examen d’une œuvre avant qu’elle ne soit rendue publique. Examen qu’accomplit tout censeur de l’Etat, au nom de l’Etat, lorsque la censure préalable est légale. C’est le cas du cinéma. Aucun film ne peut sortir en salle sans un visa, autorisation administrative de diffusion délivrée par le ministère de la Culture. Le visa imposé est discutable devant les tribunaux.

En littérature, dans les arts plastiques, au théâtre, pour les expositions, la musique ou la danse, la censure préalable a disparu. Est-ce à dire que la censure n’y existe plus ? De fait, beaucoup moins, mais elle n’a pas disparu. De même pour le cinéma : une fois passée la censure préalable qui lui est spécifique, d’autres types de censure peuvent exister. 

L’Observatoire de la liberté de création rappelle que le choix d’une œuvre dans le cadre d’une programmation est libre. Tout programmateur, diffuseur, éditeur, a parfaitement le droit de refuser des projets et d’en valoriser d’autres. La liberté de programmation est désormais protégée par la loi du 7 juillet 2016 puisque l’Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics doivent veiller à son respect (article 3). 

L’Observatoire de la liberté de création, qui regroupe 15 membres, dont de nombreuses organisations professionnelles, et des personnalités de l’art et de la culture, considère aujourd’hui nécessaire de rappeler ces lois et ces principes, car l’actualité récente nous confronte et confronte le public à une vague inédite de déprogrammations et d’appel à la déprogrammation dans tous les champs de l’art et de la culture (cinéma, théâtre, lieux d’exposition).

Chacune de ces déprogrammations, chacun de ces appels a son histoire propre, son contexte particulier, sa complexité indéniable. Si l’on peut comprendre certaines des raisons qui poussent à les réclamer, il nous appartient de rappeler que  – outre le fait qu’elles font rarement progresser les causes défendues, – en dehors d’une décision judiciaire, toute mesure qui empêche le public d’exercer son droit d’accès à l’œuvre et son droit de juger par lui-même est inacceptable. Elle renvoie le public à l’état d’Infans au nom duquel des tiers, plus adultes que lui, prendraient des décisions sans le consulter.

La déprogrammation constitue un renoncement, et non un acte de courage. La peur du débat, ce lieu indispensable du partage du dissensus, est le lit de tous les pouvoirs autoritaires. Quand il suffit de faire peur pour que ceux qui sont en responsabilité cèdent, des jours mauvais s’annoncent. Sans parler, bien entendu, des menaces et violences qui constituent un délit pénal (article 431-1 du code pénal).

Le temps de la résistance est peut-être devant nous. Restons donc debout avant que le vent ne souffle plus fort.

Observatoire de la liberté de création (Acid, Addoc, Aica, CGT spectacle, Fedelima, Fnar, les Forces musicales, LDH, Ligue de l’enseignement, SCA, SRF, SFA, Snap-CGT)
François Lecercle, Thomas Perroud, Agnès Tricoire, Daniel Veron, codélégués de l’Observatoire de la liberté de création

Elisabeth Caillet, Eric Chevance, Sophie Houdard, Jill Gasparina, Jacinto Lageira, Christophe Kantcheff, Malte Martin, Myriam Mechita, Marie-José Mondzain, Bénédicte Pagnot,  Christian Ruby, Valérie de Saint Do, Mathieu Simonet, Cy Jung, membres de l’Observatoire de la liberté de création

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