Le Film Français publie la Tribune du SCA, qui alerte sur la situation des scénaristes (et des auteurs en général) qui n'ont toujours pas eu accès, pour divers blocages administratifs, aux dispositifs de l'Etat mis en place pour faire face aux conséquences économiques de la crise sanitaire.
Nous sommes le 4 juin 2020, le confinement a été décrété le 16 mars dernier et, à l'heure qu'il est, aucun.e des adhérent.e.s du SCA (Scénaristes de Cinéma Associés) ayant demandé des indemnités journalières de garde d'enfant pour mars – comme pour avril ou mai – ne les a perçues de la Sécurité Sociale…
L’accès à ces indemnités est pour les scénaristes un véritable parcours d’obstacle : formulaire mal adapté (comme c'est aussi le cas pour le Fonds d'urgence, théoriquement accessible aux artistes-auteurs déclarant en traitement et salaire depuis le 16 avril, en pratique, pas encore), demandes variées et aléatoires pour « compléter le dossier » (fiches de paie, inexistantes pour les scénaristes rémunérés en notes de droit d’auteur, attestation sur l'honneur à envoyer par la poste - en plein confinement !), flou complet sur la manière dont vont être calculées ces indemnités (on ignore encore si les scénaristes entrés dans le statut récemment et prélevés de leurs cotisations par l'URSSAF depuis le 1er janvier 2019 seront indemnisés), et aucun interlocuteur dédié aux artistes-auteurs au Ministère de la Santé et des Solidarités ! Un summum au mois de mai : l’administration exige des auteurs qui font une demande auprès du Fonds d’urgence de « solidarité nationale », sous peine d'amende lourde en cas d’erreur, qu'ils précisent les sommes – encore inconnues, car non versées – qu'ils vont toucher en indemnités journalières ! Les artistes-auteurs ne sont pas des salariés, mais ils ne sont pas non plus au régime des indépendants. Leur cas est spécifique, et qui plus est multiple, complexe. Leur manière d’être rémunéré.e.s ne rentre pas dans les « cases » des ministères. Pourquoi ne prend-on pas la peine d’adapter les mesures aux situations ? Au nom de quel dieu bureaucratique devons-nous subir ces injustices, ces absurdités, ces différences de traitement ? Ces simplifications administratives ne tiennent pas compte de la réalité de nos métiers et deviennent des complications, nous donnant presque l’impression d’être coupables de ne pas être des auto-entrepreneurs : ce serait si simple…
Les artistes-auteurs ne signent pas des contrats de travail, mais des contrats de cession de droits. Ils vendent leurs œuvres sur lesquelles ils conservent un droit moral. Car nous sommes (encore) au pays de l’exception culturelle, qui considère que les œuvres d’art et de culture ne sont pas des produits comme les autres. Il y a tout lieu de s'inquiéter d'un gouvernement qui semble refuser "l'exception sociale" que constitue le régime des artistes-auteurs. Nous ne demandons pas des privilèges, mais seulement à être considéré.e.s dans notre spécificité. A être respecté.e.s, écouté.e.s, et entendu.e.s.
Dans cette crise qui touche de nombreux secteurs, les auteurs, comme tous les autres, font ce qu'ils peuvent pour tenir. Ils cherchent des appuis dans la solidarité des centres nationaux, comme le Centre National du Cinéma, qui ne peut pas tout, et des organisations professionnelles qui les représentent – heureusement que parfois, certaines aides financières sont pensées par des auteurs pour des auteurs. Ils continuent de créer même sans être rémunéré.e.s et espèrent un grand plan culture, dans le respect du droit d'auteur. Encore plus après les décevantes déclarations présidentielles du 6 mai dernier : car derrière les effets d’annonce, il n'y a que du flou, et des dédales bureaucratiques pour la plupart inadaptés à leurs situations.
Pourtant, pendant le confinement, est-ce vers les voitures, les avions, le tourisme, que se sont tournés les habitants de ce pays pour supporter l'enfermement et l'angoisse suscités par le virus ? Non, pour une grande partie, ce sont vers les livres, les films et la musique. C'est la culture qui a tenu lieu de portes et de fenêtres pour les 23 heures que chacun.e devait passer chaque jour chez soi, qui a procuré les quelques moments de délassement auxquels pouvaient prétendre les personnels soignants et toutes celles et ceux qui ont bravement continué de faire fonctionner la vie courante dans ce pays…
Non seulement le gouvernement calcule pour le moment à la baisse la relance des secteurs culturels, mais pire encore, il ignore les auteurs, qui en sont pourtant les clefs de voûte. Les auteurs ne sont-ils pas des citoyen-ne-s comme les autres ? Ils travaillent, ils créent, ils paient leurs cotisations, mais n’ont concrètement pas accès aux dispositifs généraux. Les scénaristes du SCA, et sans doute tous les auteurs de ce pays, sont en colère, et inquiets. En colère d'être ainsi traités par le mépris. Inquiets, profondément, de la fragilité dans laquelle se trouve aujourd'hui le droit d'auteur. Nous en appelons à ceux qui dirigent ce pays, qui a longtemps brillé par la place qu'il faisait à la culture ! Il y a urgence à ne pas laisser s'effondrer l’édifice.