LE BRUIT DES FEMMES D’A COTE
Depuis plusieurs semaines, Gérard Depardieu est en tournée pour présenter un spectacle de reprises de la chanteuse Barbara. De nombreux collectifs féministes dénoncent la tenue de ces représentations et appellent à s’opposer à la venue de l’artiste. Des casserolades, collages, perturbations, pétitions, manifestations ont ainsi eu lieu à Bordeaux, Lille, Lyon ou encore pour les dernières en date à Marseille devant la salle du Silo.Ces collectifs rappellent au public que Gérard Depardieu est mis en examen pour « viols » et « agressions sexuelles » depuis 2020 pour des faits dénoncés par la comédienne Charlotte Arnould en 2018 – cette mise en examen a été confirmée par la Cour d’appel de Paris, en mars 2022. Et en avril dernier, dans une série de témoignages recueillis par Mediapart, treize autres femmes l’accusaient également de propos sexistes et d’agressions sexuelles qui auraient eu lieu entre 2004 et 2022, notamment sur des tournages, ce que l’acteur dément formellement.
Nous partageons le combat des victimes de violence sexuelles et sexistes.
Nous affirmons qu’il s’agit, par essence, d’un combat politique et non moral.
Nous comprenons le besoin de combler le vide de l’omerta par du bruit et des actions spectaculaires.
Nous encourageons toutes les victimes à s’exprimer et à faire entendre leur parole.
Nous devons nous mobiliser pour que les violences sexuelles et les comportements abusifs de toutes sortes n’aient plus cours.
Cependant, certaines de ces associations ont fait des demandes officielles auprès de plusieurs collectivités locales et de mairies en vue de faire interdire ou annuler les concerts de Gérard Depardieu. Nous ne pouvons pas accepter la mise en cause des libertés de création et/ou de diffusion des oeuvres, même pour faire avancer une cause si juste soit-elle. Rappelons que ces démarches se heurtent aux articles 1 et 2 de la loi de juillet 2016 qui affirment les libertés fondamentales de création et de diffusion des oeuvres. Seul un juge peut interdire la diffusion d’une oeuvre pour des motifs prévus par la loi et strictement encadrés par la Convention européenne des droits de l’Homme, en particulier son article 10, si la mesure s’avère indispensable et proportionnée, dans une société démocratique.
Vouloir interdire la diffusion d’oeuvres d’auteurs qui, dans leur vie réelle, ont eu un comportement répréhensible, c’est confondre la personne et l’objet de sa création. Si l’appel au boycott fait totalement partie de la liberté d’expression, seuls les tribunaux peuvent éventuellement prononcer une interdiction de façon précise et limitée. C’est au public de décider s’il souhaite accéder aux oeuvres d’un auteur, que ce dernier ait été condamné, relaxé ou qu’il ait fui ses juges, ou encore si les faits qui lui sont reprochés sont encore en cours d’instruction.
Nous pensons également qu’entreprendre des actions qui visent à empêcher par la force les libertés de création et/ou de diffusion des oeuvres contribue à nourrir la confusion entre les extrêmes entretenue de mauvaise foi par le gouvernement, outre que cela constitue potentiellement le délit prévu à l’article L 431-1 du Code pénal1. C'est donc prêter le flanc à l’extrême-droite qui se sent dès lors autorisée à user des mêmes méthodes pour ses propres combats – alors qu’elle est la première à fustiger les combats féministes et antiracistes.
Nous appelons de nos voeux la mise en oeuvre d’une politique juste et efficace pour la lutte contre les violences faites aux femmes, et demandons à chacune et chacun de respecter le droit fondamental à la liberté de création.
Il y va de la haute idée que nous avons de la démocratie.
[1] Extraits : Le fait d'entraver, d'une manière concertée et à l'aide de menaces, l'exercice de la liberté de création artistique ou de la liberté de la diffusion de la création artistique est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. (…) Le fait d'entraver, d'une manière concertée et à l'aide de coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations au sens du présent code, l'exercice d'une des libertés visées aux alinéas précédents est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende .
Liste des membres de l’Observatoire de la liberté de création :
Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion (Acid) ; Association des cinéastes documentaristes (Addoc) ; Section française de l’Association internationale des critiques d’art (Aica France) ; Fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l’audiovisuel et de l’action culturelle (FNSAC-CGT) ; Fédération nationale des arts de la rue ; LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Ligue de l’enseignement ; Les Forces musicales ; Scénaristes de Cinéma Associés (SCA) ; Syndicat français des artistes interprètes (SFA-CGT) ; Syndicat national des artistes plasticiens (Snap-CGT) ; Syndicat national des scènes publiques (SNSP) ; Société des réalisateurs de films (SRF) ; Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac).
Contact : Service presse de la LDH : presse@ldh-france.org / 01 56 55 51 15