Ce site requiert l'activation de Javascript pour être consulté correctement.
Vous pouvez activer Javascript dans les options de votre navigateur.

Entretiens du SCA

-

Scénariste : Comment on commence ? (3) Camille Lugan

Laurie Bost, scénariste membre du SCA, est allée à la rencontre de Camille Lugan pour évoquer ses débuts de scénariste.


LAURIE BOST : Pour commencer, peut-être que tu peux me raconter comment tu es arrivée à l’écriture de scénario. Qu’est-ce qui t’a donné envie d’écrire des histoires pour le cinéma ?


CAMILLE LUGAN : J’avais une vocation vers le cinéma assez jeune et au lycée je me suis dit que j’avais envie de passer la Fémis. Il faut deux ans d’études avant de pouvoir passer le concours et comme j’avais de l’intérêt pour la littérature, la philo, la musique, je n’avais pas forcément envie de me spécialiser tout de suite dans le cinéma. J’ai passé l’ENS, j’y suis entrée. Au bout de deux ans d’école, j’ai ressenti une nécessité de revenir aux choses que je désirais vraiment et j’ai passé le concours de la Fémis en scénario, parce que j’avais envie de me mettre à écrire tout de suite. Mais je crois que c’était moins l’écriture en soi, que l’envie de créer à travers le cinéma et de raconter des histoires au sein de ce médium.

LB : Il y a eu des moments importants, d’épiphanies pourquoi pas, dans tes premières collaborations à l’écriture qui ont consolidé ton envie de devenir scénariste ?

CL : Je me souviens d’un film réalisé par une élève de ma promotion qui s’inscrivait dans le cadre d’un exercice intitulé à l’époque la « fiction acteurs » : les réalisateurs partaient d’un casting et concevaient un film autour de ces acteurs. C’est vraiment quelque chose que je n’avais jamais fait et c’était passionnant d’écrire avec quelqu’un en tête. Cette comédienne (Coralie Russier) avait un timbre de voix particulier, une personnalité forte et ça c’est vraiment un bon souvenir d’écrire, non seulement avec la volonté du réalisateur, mais aussi cet élément tout de suite très incarné en tête. 

Je pense que ces premières collaborations m’ont aussi fait prendre conscience que la co-écriture consiste quand même beaucoup dans un accouchement et dans le fait de ne pas simplement trouver des solutions techniques pour raconter une histoire, mais aussi de comprendre ce que le réalisateur cherche vraiment à raconter à travers des idées qu’il balance, des choses qui peuvent être un peu abstraites, un peu théoriques. De faire le lien que parfois le réalisateur lui-même ne peut pas faire. Je pense que j’ai vraiment pris conscience de ce travail de maïeutique plus tard, mais l’école en a été les prémisses.

LB : As-tu mis en place des méthodes pour accompagner les réalisateur.rice.s pendant l’écriture ou ton approche de la co-écriture est plutôt intuitive ?

CL : C’est assez intuitif, oui. Je pense que ça dépend aussi vraiment de la personnalité du réalisateur avec qui on travaille. Il se trouve que j’ai travaillé complètement par hasard, à plusieurs reprises, avec des comédiens - Samir Guesmi et Guillaume Gouix - qui passaient à la réalisation de leur premier long-métrage. Ils avaient déjà l’expérience du court donc ils n’étaient pas complètements « bleus » en termes de réalisation, mais leur expérience du plateau était d’abord une expérience d’acteur. Ils abordaient le film par le sensitif, le comédien, la scène, le dialogue et donc il fallait les amener progressivement vers la structure et la dramaturgie. Ils en avaient conscience et n’étaient pas du tout réticents mais, parfois, parler en termes dramaturgiques ne servait absolument à rien. Et dans ce cas-là ce n’est pas au scénariste de forcer une méthode sur la collaboration, c’est à lui de comprendre quelle est la meilleure manière d’arriver au film et à sa dramaturgie. J’ai l’impression que c’est ce qui fait le plaisir de travailler avec des réalisateurs différents : chaque réalisateur amène aussi un peu sa méthode en fonction de sa personnalité et de son parcours, même si ce n’est pas forcément lui qui la définit. 
Amore Mio, réalisé par Guillaume Gouix

LB : Tu as aussi beaucoup co-écrit des premiers longs-métrages : est-ce que tu as un goût particulier pour cet accompagnement ou c’est une question d’opportunités professionnelles ?


CL : Je pense qu’il y a une partie liée au monde professionnel. J’ai l’impression qu’on propose moins souvent à des jeunes scénaristes d’écrire avec des cinéastes confirmés, pour plusieurs raisons : d’une part, ces réalisateurs ont déjà installé des relations d’écriture de longue date avec des scénaristes donc il n’y a pas la place. D’autre part, même si les producteurs font confiance aux jeunes scénaristes, il y a peut-être une certaine méfiance à confier un film où il y a plus d’enjeux financiers à quelqu’un qui n’a pas trop d’expérience. En tout cas, dans mon cas, le fait de travailler sur des premiers films était plus le fruit du hasard, ce n’est pas quelque chose que j’ai cherché délibérément.

LB : Tu as l’impression qu’il y a un enjeu particulier à ta place de scénariste quand il s’agit d’un premier long-métrage ? 

CL : Je suis convaincue que le premier film ne peut pas ne pas être personnel - à un endroit qui n’est pas forcément autobiographique. Mais identifier ce point d’ancrage est vraiment capital. C’est une grosse partie du travail en tant que scénariste, parce que parfois il est caché au réalisateur lui-même. Il y a aussi un enjeu formel : à quoi va ressembler ce premier long ? Et ça ce n’est pas simple non plus. Mais cette responsabilité est d’autant plus excitante ! Même avec des réalisateurs qui ont déjà fait des courts et savent ce qu’ils ont envie d’explorer, il y a quand même une marge de fondation qui est importante et que le scénariste accompagne beaucoup. 

LB : Quand as-tu commencé à gagner ta vie en tant que scénariste ? Est-ce que tu as dû exercer une autre activité en parallèle pendant un temps ? 


CL : Juste après l’école, j’ai travaillé comme programmatrice dans un festival aux États-Unis puis en rentrant en France, j’ai eu la chance de rencontrer très vite un agent - Véronique Bouffard - qui m’a été recommandée par un ami producteur et avec qui le contact est tout de suite passé. Pour le premier contrat de co-écriture que j’ai signé (Dune Dreams de Samuel Doux), la rencontre n’est pas venue par elle, mais ça m’a permis d’être tout de suite dans une relation saine avec un producteur. 

Évidemment les premières années ont été plus difficiles, je faisais beaucoup de lectures de scénarios, des petites activités complémentaires, mais je n’ai pas eu de travail purement alimentaire. Je pense que c’est un luxe que tout scénariste ne peut pas se payer, je sais que j’ai eu énormément de chance. Quand on sort d’une école comme la Fémis, on a évidemment une attention portée sur notre parcours qui fait une différence sur le papier, sur la manière dont les gens te répondent, et j’en ai profité. Mais dans l’absolu je trouve ça absolument anormal. Parce que si tous les bons scénaristes ne venaient que de la Fémis et, vice-versa, si la Fémis ne produisait que de bons scénaristes, ce serait la fin du jeu et ce n’est pas le cas. 

LB : Comment te sont parvenues jusqu’ici les propositions d’écriture et à quelle étape de travail arrives-tu sur les projets ? 

CL : C’est vraiment de tout. J’ai des propositions qui arrivent par mon agent. Parfois ce sont des auteurs qui ont travaillé avec moi qui me recommandent à d’autres qui cherchent autour d’eux. Je sais que Guillaume Gouix par exemple, ça s’est fait comme ça. C’est un projet sur lequel je suis arrivée en consultation en binôme avec une autre scénariste, Fanny Burdino, ce qui était une situation assez inédite. Comme on se connaissait avec Fanny, on était en accord sur une direction qui nous semblait être la bonne, donc on a simplement commencé par des séances de consultation et il y a un moment où on a mis toutes les deux la main à la pâte parce que Guillaume avait besoin d’une version qui passe par une autre plume que la sienne. 

Pour Ibrahim, c’est le producteur - Why Not Productions - qui m’a fait rencontrer Samir Guesmi suite à un retour de lecture que j’avais fait sur le scénario. On a repris le travail en amont, c’est-à-dire qu’on est revenus à un séquencier et on a beaucoup cherché ensemble dans le film, dans la structure et ensuite dans les versions dialoguées. 

C’est un peu tous les cas de figures en fait et c’est assez équilibré ces dernières années.
Karama, Karama court métrage réalisé par Camille Lugan

LB : Tu as l’impression qu’on t’appelle pour un type de cinéma en particulier ? Des sujets en particulier ? Par exemple, le film de Samuel Doux se passe à Dubaï et tu avais toi-même écrit et réalisé un court-métrage qui se passe dans cette ville (Karama, Karama), est-ce qu’il y a une corrélation ?

CL : Alors, c’est à la fois corrélé et pas corrélé. Samuel était juré dans un festival où j’avais présenté ce film, qui lui avait énormément plu, et ça coïncidait avec le moment où lui reprenait ce scénario avec Caroline Bonmarchand. Je crois qu’elle lui avait suggéré de délocaliser le film, qui à la base se passait dans la région parisienne, à Dubaï ou dans un pays du Golfe. Du coup, oui, je pense que ça a joué, ma connaissance de ce milieu-là en particulier. Mais c’est la rencontre qui a primé. 

Après, j’ai l’impression qu’on m’appelle pour un type économique de films qui sont un peu les mêmes, c’est-à-dire de toute façon « cinéma d’auteur petit-moyen budget », qui va jusqu’aux films du milieu. Par exemple, je ne me suis jamais retrouvée à travailler sur un film dont le budget dépassait 4 millions. Dans la mesure où je n’ai jamais écrit avec un réalisateur qui faisait des gros films, les producteurs de ces films-là ne me connaissent pas, les réalisateurs non plus, ce ne sont pas les noms qu’ils demandent spontanément aux agents… etc. Donc tout ça est assez cohérent en fait.

LB : Tu es scénariste et tu réalises aussi des films : est-ce que l’écriture est très différente quand tu écris pour toi ou pour les autres ? Fais-tu intervenir des scénaristes sur tes propres projets ?

CL : Je pense que j’ai beaucoup souffert de l’orgueil de « puisque je suis scénariste, je n’ai pas besoin de quelqu’un qui m’accompagne ». C’est vraiment le coiffeur qui essaye de se coiffer ou le dentiste qui essaye de s’arracher une dent. Comme on part de ce modèle très fort en France de l’auteur-réalisateur et qu’il y a eu aussi plein d’exemples de gens qui sont sortis de la Fémis et ont tout de suite développé le film qu’ils avaient écrit à l’école, sans s’adjoindre de scénariste, j’ai cru pendant longtemps que j’y arriverais toute seule. Et j’ai perdu beaucoup d’énergie et de temps à m’épuiser seule, là où en fait le dialogue à deux est assez irremplaçable. Je l’ai compris quand j’ai commencé à travailler avec le co-scénariste de mon premier long-métrage, Salvatore Lista. Il y a des choses vraiment précieuses qu’on trouve à deux qu’on n’aurait pas trouvé tout seul et pas forcément en termes d’efficacité et de solutions narratives mais aussi de contenu, de découverte de soi-même.
Dune Dreams, réalisé par Samuel Doux
LB : Est-ce qu’avec l’expérience tu as trouvé une manière d’organiser tes journées pour optimiser ton temps de travail ?

CL : Ça dépend des périodes. Il y a un an et demi, je me suis retrouvée dans une situation où j’avais trop de projets en même temps, à des stades différents. Le problème n’était pas le temps. Au fond, le temps, on le trouve toujours… Mais en revanche, de ne pas avoir à trop switcher, c’est quelque chose qui m’apparaît de plus en plus important. Le morcellement des tâches, même s’il est physiquement possible, est dommageable pour les projets. Je pense que c’est une erreur par laquelle beaucoup de jeunes scénaristes passent au début, surtout quand on sent qu’on a une capacité de travail assez importante. Pour ne parler que pour moi, j’ai dû prendre quelques gamelles pour me rendre compte qu’au-delà d’un certain nombre de projets, ça devient nocif. A la fois pour soi personnellement et pour la qualité de ce qui est fourni.

LB : Dans ton parcours, tu as bénéficié d’une forme d’accompagnement d’un.e ou plusieurs scénaristes plus confirmé.e.s ou d’une solidarité entre auteur.e.s de ta génération ? 

CL : Samuel Doux était aussi scénariste à la base et il avait plus de bouteille que moi. Salvatore Lista c’était la même chose. Et effectivement je me suis nourrie de ces relations. Mais je trouve qu’on apprend beaucoup aussi des réalisateurs qui n’ont pas cette formation. Par exemple, ces expériences avec les comédiens qui sont passés à la réalisation m’ont rendue beaucoup plus sensible sur des questions de personnages, de dialogues… Sur Ibrahim, Samir Guesmi avait un sens de ce qui était juste ou pas. Ce n’est pas un scénariste au sens strict du terme mais cet instinct m’a vraiment servi pour le scénario. C’est pour ça que je trouve que c’est bien d’avoir un « cercle d’auteurs », de se créer une famille de travail, mais j’ai l’impression que le scénariste doit aussi apprendre du producteur, du réalisateur, et même du chef-opérateur et du monteur dans une autre mesure. Par exemple, dans les relations de développement, les producteurs ont des intuitions qui sont parfois vraiment intéressantes, qu’il faut écouter et qui peuvent servir dans le travail.
bureau de Camille Lugan, juin 2022

LB : Aurais-tu quelques conseils à donner à des jeunes scénaristes ? Des choses que tu aurais peut-être aimé savoir avant de commencer ?


CL : Connais tes forces et connais tes limites. Connais tes limites, en termes de charge de travail parce qu’à un moment ça a un impact sur la qualité. Connais tes limites aussi sur l’endroit où tu peux être et où tu ne peux pas être. Ça m’est déjà arrivé dans le travail de sentir que je n’étais pas au bon endroit d’un projet. On se raconte qu’on peut tout faire, dans tous les registres, tous les tons, tous les genres, toutes les personnalités d’écriture mais ce n’est pas le cas. Et ça c’est quelque chose qui se teste dans l’expérience.

LB : Maintenant tu te fais confiance ?

CL : Oui, je me fais plus confiance. Se faire confiance et en même temps ne pas être dans une espèce de démesure. Faire parfois peu mais bien et dans une construction sur le long terme, c’est mieux que d’enchaîner, de faire du chiffre. C’est l’inverse de la start-up nation. Le voilà, mon conseil : la start-up nation n’est pas un modèle qui fonctionne quand on est scénariste.


Entretien réalisé en juin 2022

Retrouvez les trois autres entretiens :
ici

Merci de citer le SCA-Scénaristes de Cinéma Associés pour toute reproduction

Abonnez vous pour recevoir la lettre d'information du SCA