Édito

L’alibi jeune, par Violette Garcia (N#3)

Effet de mode, période pré-électorale, ou travers de l’époque, le fait est que l’on consulte, sonde, lance des carottages à tout va et dans tous les milieux. Considérant que le monde de la création serait à l’orée d’un bouleversement fondamental, les institutions culturelles publiques n’y échappent pas et se livrent à un carottage bien précis en milieu cinématographique et audiovisuel, se demandant ainsi : « mais que pense le jeune ? »
Et en l’occurrence, la jeune sortant d’une des grandes écoles de cinéma et d’audiovisuel, publiques et parisiennes, ici présente.

Vaste question, échantillon bien mince... Mais après tout, pourquoi pas ? me disais-je en me rendant vaillamment à une telle consultation, avec le curieux sentiment de faire partie d’un groupe… de cobayes, pardon, de… jeunes cobayes.

Cependant, il s’avère vite, sous les ors de la République, qu’au lieu de demander à chacun.e sa vision de la vie et de l’avenir, il s’agit là surtout de savoir si les « jeunes » en présence n’ont pas, par hasard, envie de se faire les chantres du monde de demain, de raconter des récits inédits, qui changent, pour un monde qui bouge – ou l’inverse ? De révéler « en tant que jeunes », leur pouvoir de « disruption » et de produire enfin du « contenu » sur des supports qui parlent aux jeunes, pour les jeunes ? Et ce grâce à un grand plan d’investissement qui permettrait de créer de nouvelles filières de formation ou plutôt des « pôles d’excellence »adossés à des « studios »sur des « territoires identifiés » pour, enfin, « concurrencer les Américains » !

Las, l’enthousiasme du jeune disruptif ainsi essentialisé n’est pas tout à fait au rendez-vous. L’évocation de l’objectif visé parait même tristement has-been, à certains jeunes qui utilisent des expressions qui le sont moins.

Nous lançons gaiement « indépendance de la création », « exception culturelle française », « modèle à préserver » et « travailler sur l’existant ». On nous répond : « L’avenir, c’est la French Touch » – et cela n’a rien à voir avec le mouvement musical du même nom…

C’est sur cet axiome sibyllin qui nous laisse interdit.e.s, que nous sommes congédié.e.s, sur le pavé parisien, pensif.ve.s et la goutte au nez – l’hiver, déjà.

Roulé.e.s, pour les plus virulent.e.s. Simple caution, pour les autres. Alibi, nous sommes ! pensais-je. Bref, chacun.e conviendra au fond qu’il est bien dommage de nous convier à une consultation pour… ne pas nous consulter. Pourtant nous en avons, des choses à dire et des idées, n’en déplaise à celles et ceux qui n’aiment pas les cheveux longs.

En ce début d’année 2022, le SCA se réjouit de compter 174 adhérent.e.s qui représentent, dans leur diversité, une certaine idée du cinéma et plus largement de la création, libre et indépendante. Parmi elles et eux, des entrant.es dans le métier, jeunes ou non, sortant d’école ou non. Dans un véritable esprit de discussion et de consultation, le SCA s’emploie à laisser aux « jeunes » une voix et une voie autres que celle du jeune disruptif. Loin de penser qu’il faudrait multiplier les plans de formation fléchée, l’association s’attache plutôt à répondre à la délicate question de l’insertion professionnelle des auteur.e.s – que la multiplication des formations ne résout pas. 

D’abord en mettant en place un programme interne de marrainages et parrainages, ensuite en poursuivant les négociations interprofessionnelles en cours visant à définir un minimum garanti pour l’écriture des longs-métrages sans condition de mise en production, afin de permettre aux scénaristes entrant tout juste dans le métier une rémunération plancher correcte, mettant fin à des situations de grande précarité.

D’autre part, c’est bien au sein d’un écosystème interprofessionnel indépendant de l’écriture à la diffusion que les œuvres portées par les adhérent.e.s du SCA sont rendues possibles – et ce dans toute leur singularité et leur diversité. En étant membre du BLOC (Bureau de Liaison des Organisations Cinématographiques), l’association s’attache à défendre et pérenniser l’existence de cet écosystème et l’intègre à toutes ses propositions et réflexions.

Car c’est bien là que le bât blesse, dans l’équation un peu rapide que font les plateformes et que les institutions semblent reprendre à leur compte. « Nouveau support » ne signifie pas automatiquement émergence de nouveaux récits – disruptifs, cela va sans dire – portés par de nouvelles et nouveaux auteur.e.s. Les récits qu’ils et elles portent ne sont nouveaux que pour ceux qui les découvrent. La question se pose plutôt du côté de la réception de ces récits au niveau de la production et de la diffusion. Et de la façon dont on veut bien, ou non, tendre une oreille réellement attentive aux auteur.e.s, et laisser à leurs récits la chance d’êtres entendus, à leurs films celle d’être diffusés et vus.

Les assises du Collectif 50/50 pour la parité, l’égalité et la diversité dans le cinéma et l’audiovisuel du 6 décembre dernier, auxquelles le SCA a participé, ont été l’occasion de traiter spécifiquement de cette question, et de rappeler l’écueil de la récupération, à des fins commerciales, d’une demande fondamentale et légitime de représentation et de reconnaissance. Sous couvert « d’ouverture », on demande en fait aux auteur.e.s de se cantonner à un certain type de récit qu’ils et elles seraient censé.e.s représenter selon les caractéristiques qui seraient les leurs : jeunesse, communauté supposée, genre, par exemple. Auteur.e jeune = récit jeune pour les jeunes...
A rebours de ce modèle marketing qui ferait de l’auteur.e une simple « caution » sur un récit devenu un « contenu » estampillé et formaté, le SCA s’attache à défendre les conditions de possibilité d’une création libre et indépendante, s’inscrivant bien souvent dans une longue filiation, trop longtemps marginalisée.

Et ce, loin de mettre en concurrence les domaines de création, comme il est de mise de le faire aujourd’hui, entre le cinéma et les séries par exemple, mais en affirmant au contraire la nécessité de leur coexistence.

Il me plaît à penser que le SCA, en ayant fait le pari du collectif, constitue un espace de dialogue possible où des voix multiples se font entendre – dont celles des jeunes auteur.e.s de 20 à 95 ans, entre autres – sur notre métier et le milieu dans lequel nous pouvons et nous souhaitons l’exercer.

Plus en forme que jamais, l’association poursuit sa réflexion et son action en cette année 2022, année cruciale s’il en est, que nous osons vous souhaiter excellente.

Violette Garcia, scénariste, élue au conseil du SCA

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