Laurent Achard, scénariste et réalisateur, nous a quitté lundi dernier. Frédérique Moreau et Quentin Faucheux-Thurion ont été scénaristes à ses côtés et ont souhaité lui rendre hommage.
Laurent Achard a réalisé trois longs métrages : "Plus qu'hier, moins que demain", "Le Dernier des fous" (Prix Jean Vigo) et "Dernière séance" ainsi que des documentaires. Ses courts métrages, notamment "La peur, petit chasseur" et "Dimanche ou les fantômes" (Grand Prix à Pantin) ont marqué une génération de cinéphiles et de cinéastes.
Frédérique Moreau, coscénariste de Dernière séance
"Parler de Laurent malgré le chagrin. « Oh écoute… » « Je ne fais pas des films comme qui tu sais » « Untel, on est pour », toutes ses expressions prononcées à l’envie… L’entendre chanter Nicolaï de Sylvie Vartan, retrouver son adoration de la culture populaire, sa colère à voir disparaître le Paris qu’il aimait, difficile de penser qu’on ne le vivra plus. Il était impossible de dissocier chez lui la vie du cinéma. Il a usé beaucoup de scénaristes en faisait pourtant des amis. Sa rencontre avec Quentin Faucheux dernièrement m’avait redonné l’espoir de voir un jour son 4ème long métrage.
Sa façon de raconter, de se raconter tout était sujet à fiction. Il mettait en scène sa vie et la vie des autres, avec une vraie tendresse parfois vacharde et toujours beaucoup de loufoquerie, utilisait les SMS quasi uniquement pour faire des blagues ou remercier pour la soirée. Toutes les récompenses, l’estime de la critique, rien ne pouvait combler son insécurité originelle, celle qui empêche d’avancer avec le minimum de certitude sur un projet. L’époque n’accepte plus ni le temps de l’errance, ni le doute. Laurent n’aimait pas le monde qui s’annonce. Il travaillait pourtant sur deux nouveaux projets. Son cœur usé a lâché, le prix de son intégrité, de sa radicalité de cinéaste. Ses films, encore ses films, courts, documentaires ou fictions, toujours ses films, c’est ce qu’il aurait voulu qu’il reste de lui. "
C'est la vie. C'est la vie qui nous prend, qui nous prend
Qui nous emmène où elle veut et où elle va. Nicolaï
Quentin Faucheux-Thurion
"J’ai rêvé travailler avec Laurent Achard. Écrire avec toi, pour ton cinéma. Nous nous sommes rencontrés chez Frédérique Moreau, qui savait toute l’admiration que j’ai pour toi, un soir d’Eurovision. Tu étais sceptique, j’avais fait la Fémis ça n’augure rien de bon. Et surtout, je t’ai parlé d’Une odeur de géranium. Tu t’es scandalisé que je te parle de ce film, que tu aurais aimé faire disparaître. Alors je t’ai dit les trois éléments, magnifiques, qui pour moi en font un tableau bouleversant de justesse. Entre-autre, la fin, où ton jeune personnage croit trouver son père mort, l’annonce en panique à sa sœur qui s’inquiète à son tour, et le père quitte le fauteuil pour aller pisser. C’est la Suède qui a gagné l’Eurovision cette année-là, et ce soir-ci, dans l’ivresse d’un Bourgogne bien de chez nous, nous avons décidé de réfléchir ensemble le prochain film que tu ferais, le prochain film de Laurent Achard. De là, pour reprendre une de tes phrases fétiches, tu m’arrêtes si je dis une bêtise.
Tu m’as donc fait entrer, par la petite porte et une retenue que notre amitié fulgurante est vite venue briser, dans les méandres de ta psyché tortueuse, parfois sombre, toujours exigeante, diablement drôle, et d’une cinéphilie qui inondait tout ton rapport à l’existence. Cet amour, cette dévotion absolue au Cinéma, qui était ta vie et rien d’autre, j’ai la chance d’avoir été le dernier à la nourrir. Tu m’as aussi beaucoup appris, surtout qu’on est là pour rire. Et de nos séances de travail rythmées de rires, de doutes, d’idées qui d’après toi te venaient d’en haut, sont nés plusieurs projets qui ne verrons pas le jour, aux titres qui racontent pour moi tout ce qu’était notre duo. Requiem pour Cléopâtre. Antichronique (fragments de vie d’une lesbienne de province). C’est la châtelaine qui vous appelle. Et notre préféré, de loin, Les Bourrées de Marcadet. Il y a notre campagne, notre Paris, du mélo, du sang, un perroquet, des Ferrari de collection, des hommes qui déchaînent les désirs et la douleur, et même un grand-père pétomane. Nous sommes deux exaltés, enlevés par le désir de voir naître un de tes films. Tout ce qui comptait, pour toi, pour moi, au fond, c’était le carton de début. Un film de : LAURENT ACHARD, écrit en lettres d’or, on ne se refuse plus rien.
Je t’imagine, maintenant, alangui sur ton canapé dans le salon de l’appartement de Simplon comme je t’ai vu si souvent au cours de nos rendez-vous de travail ou de pure amitié, la couverture polaire volée dans un café disposée sur tes jambes, conjurant la froidure de saison – pas de chauffage chez toi, la fenêtre ouverte pour évacuer l’odeur de cigarette. Tu es ce proche endormi ; tu ne te relèveras pas. On avait imaginé des épitaphes et des discours pour les Césars, encore dans l’ivresse d’un Bourgogne ou d’une bière, je ne sais plus. Pour l’épitaphe parfaite, on s’était arrêté sur À toute. Pour les Césars, Merci pour tout. Merci pour tout Laurent, Laurent Achard. Je suis bien, je suis pas bien, je suis bien, je suis pas bien. Tu débitais cette phrase pour amuser, et dire toute ton incertitude passagère. Tu me laisses, à ne pas te relever, dans la même incertitude. Tu manques déjà au cinéma. Et à ceux qui t’aiment plus encore."