Rémi Giordano, scénariste membre du SCA, est allé à la rencontre de Jérémie Dubois pour évoquer ses débuts de scénariste.
REMI GIORDANO : Tu peux me parler de ce qui t’as conduit à l’écriture ?
JEREMIE DUBOIS : Je voulais être prof et faire de la recherche, c’était ça le plan. J’ai fait Sciences Po, et après j’ai fait un M2 et au moment où je voulais faire une thèse, ça partait mal, je n’avais pas de bourse. A 27 ans, j’ai passé le concours de l’Atelier Ludwigsburg-Paris de la Fémis et j’ai été pris sur un gros coup de pot. Mais au bout de quelques mois, j’ai arrêté de faire semblant, ce n’était pas pour moi la production. Par chance, il y a eu cet échange avec la NFTS de Londres où se côtoient des étudiants de toute la planète. J’y suis rentré l’année suivante en scénario. J’y ai écrit de la télé, des sketchs, du théâtre…
RG : L’écriture, c’est arrivé un peu par hasard alors ?
JD : J’avais envie de raconter des histoires depuis longtemps mais je l’ai fait pas à pas. Le fait d’accepter de vouloir possiblement faire une école de cinéma, ça m’a pris beaucoup de temps. Une fois à l’école, il m’a fallu aussi du temps pour accepter que j’étais capable de faire ce métier.
RG : Et après l’école ?
JD : Après Londres, j’ai fait des traductions, j’ai lu des scénarios pour Wild Bunch, Bac Films, Arte, plein de commissions du CNC. Les premières années, je faisais beaucoup ça. Et ça a été très formateur.
J’ai écrit des courts, j’en ai réalisé un, des longs (pour les autres) qui ne se sont pas faits, dont un avec Vincent Macaigne, juste après qu’il ait fait Ce qu’il restera de nous. On a travaillé sur une adaptation d’une pièce d’Ibsen. J’ai écrit un peu de télé aussi...
Et après je me suis fait embaucher comme consultant par Guillaume Mainguet de Produire au Sud, qui propose des ateliers d’écriture et de production en Afrique, au Moyen Orient et en Asie. Et c’est un peu un hasard mais, Vincent Wang, l’un des producteurs qui était consultant, m’a proposé de co-écrire Whether the Weather is fine, un film philippin réalisé par Carlos Francisco Manatad.
RG : Justement les collaborations…
JD : Vincent m’a fait rencontrer par la suite Zhang Tao, le réalisateur de Le Rire de madame Lin, un film qu’il a fait avec sa famille en sortant de l’école, sélectionné à l’Acid. Le truc c’est que Zhang Tao ne parle pas un mot d’anglais et qu’il habite à Pékin. Je passe donc des mois avec une interprète et lui qui me parle comme s’il était le ministre chinois en charge de l’agriculture et moi celui du commerce français. Impossible de vraiment se parler et de créer du lien entre lui et moi.
RG : Quand on ne parle pas la même langue, comment se parler de choses intimes ?
JD : Le film que l’on a écrit avec Zhang Tao s’appelle Dayao nage à contre-courant. C’était dur de trouver ce que c’était que ce qui nous intéressait lui et moi mais on a fini par avoir une idée et à écrire une histoire. Le producteur me propose alors d’aller en Chine rencontrer Zhang Tao et d’aller dans la campagne chinoise où se déroule le film. Là, de passer réellement du temps avec quelqu’un avec qui on écrit, de manger avec lui et tout le reste, ça change tout. Et puis évidemment je découvre un pays que je ne connaissais pas et je vois des trucs que lui ne voit pas, parce qu’il est trop habitué à les voir. Par exemple, je ne comprends pas pourquoi la femme de son cousin ne mange jamais avec nous, donc je pose la question, il est gêné, il me dit que c’est "comme ça" à la campagne… mais qu’à la ville, c’est pas pareil. Je me dis ainsi que c’est intéressant et que l’on peut articuler une partie de la narration autour du désir d’une femme de partir vivre en ville afin de s’émanciper du joug des hommes.
Au bout de quelques jours à tout traduire tout le temps, Vincent Wang en a marre, et l’un des cousins de Zhang Tao lance une application de traduction sur son téléphone. Je fais une phrase et miracle, ça marche. Avec Zhang Tao, la communication change du tout au tout et une fois de retour à Paris, on n’a plus besoin de traducteur. Là-dessus, Vincent pousse Zhang Tao à apprendre l’anglais. Miracle encore, Zhang Tao parle en quelques semaines anglais et ça devient génial d’écrire tous les deux.
En écrivant ce film, je me suis d’ailleurs rendu compte que la trame narrative, ce n’est qu’un support évidemment et qu’on peut très bien mettre de côté l’histoire et ne parler pendant des semaines que des personnages afin de faire émerger quelque chose.
Je n’avais jamais fait ça, mettre totalement de côté le moteur narratif pour me concentrer sur qui sont les personnages et venir dessiner une histoire une fois qu’on sait ce que veulent les persos les uns des autres, ce qu’ils ressentent, etc.
RG : Et après cette collaboration ?
JD : J’ai écrit plusieurs films étrangers, un film luxembourgeois sorti l’année dernière, un autre norvégien et un taïwanais. Et puis j’ai retravaillé avec Akihiro Hata, que j’avais rencontré à la Fémis alors qu’il était en réalisation et dont j’ai co-écrit le court-métrage A la chasse. Nous travaillons sur un projet de long qui s’appelle Grand Ciel qui vient d’avoir l’Avance sur Recettes. Pour ce film, on a participé au Torino Film Lab. Parmi nos tuteurs, il y avait un scénariste, Pierre Hodgson qui m’a beaucoup appris, j’ai plus appris avec lui en quelques semaines qu’en plusieurs années à l’école. Il nous a fait des cours très simples, en se forçant à jouer au prof, c’est un scénariste qui ne travaille pas sur des films sur-écrits en suivant des manuels de scénario, loin de là – il a écrit les films de Philippe Grandrieux par exemple – mais qui nous dit quand même qu’il y a des « trucs » à connaître afin d’écrire davantage de l’intérieur et d’être plus proche de notre histoire.
RG : Par exemple ?
JD : Un truc dont je me sers tout le temps maintenant, afin de s’aider à se mettre dans les chaussures d’un personnage, c’est de dire : je.
Par exemple, Le Loup de Wall Street de Scorsese, c’est l’histoire d’un jeune gars très ambitieux qui est prêt à tout pour amasser un max d’argent. Pour écrire autour de lui, ce qu’il faut faire c’est se raconter : "Je m’appelle Leonardo di Caprio, j’ai 25 ans, et aujourd’hui je postule à un emploi à Wall Street et j’ai du mal à respirer tellement j’ai peur…" S’enregistrer, faire un monologue, ouvrir ses chakras et se laisser guider par une forme d’écriture automatique facilitée par le fait de dire je, en commençant un peu avant le début du film et en terminant un peu après la fin du film.
L’idée c’est de se concentrer sur les émotions, ne pas trop réfléchir et construire via l’écriture automatique, un lien avec le personnage, on crée un lien entre soi et le personnage.
Avec Pierre Hodgson, j’ai eu l’impression d’apprendre à mieux savoir faire. Avant, je savais pas trop faire ce travail, avec le recul, ça m’est très clair. J’ai l’impression de vraiment faire ce métier et d’y prendre du plaisir depuis 3-4 ans.
RG : Comment tu travailles en collaboration/coécriture ?
JD : J’ai pas de préférence, ça dépend vraiment de ce qu’est le film. J’aime beaucoup, évidemment, écrire à quatre mains et tout faire à deux, j’ai l’impression qu’à travers la co-écriture, il y a une recherche d’altérité, une envie de rencontrer l’autre, donc cela fait sens de tout faire à deux… Avec Akihiro on a fait ça, on a écrit un traitement à deux puis, pour la partie scénario, l’un écrit les 5 premières scènes, l’autre écrit les 5 suivantes, et ensuite on échange.
Là j’écris un film égyptien, Hamlet des Bidonvilles, plus ou moins une réécriture. Ça faisait deux-trois ans que les auteurs écrivaient à deux et qu’ils avaient le sentiment d’être un peu à bout, aussi ils voulaient qu’un scénariste leur propose quelque chose de sensiblement différent. Je les ai rencontrés au Torino Film Lab et là j’écris tout seul. Je les consulte quand j’ai besoin, parfois je leur demande une idée rapido, mais l’essentiel du temps, ils lisent, apportent des corrections. J’écris seul le scénario et cela me plait beaucoup aussi.
RG : Il y a une configuration que tu préfères ?
JD : Pas vraiment, encore une fois… Ce que j’aime c’est écrire à deux, c’est raconter des histoires que je ne raconterais jamais sans l’autre. C’est comprendre comment toi tu vois les choses, comment tu vois le monde. Ce qui me plaît, c’est ce qui fait qu’à deux on est plus forts, on peut réfléchir mieux, on peut écrire une histoire excitante parce qu’on peut tester une idée sur l’autre. Je dis une bêtise, tu en dis une, cela me donne une idée et à toi aussi, et à la fin on trouve peut-être quelque chose.
Dès que j’ai eu accès à des gens d’autres traditions narratives/cinéma, je me suis rendu compte qu’on était vraiment très proches – pardon de la banalité, mais oui, c’est incroyable la célérité avec laquelle on apprend sur soi par le prisme d’une autre culture que la sienne. L’effet miroir est toujours très fort, très puissant. Et puis, en travaillant avec des gens qui viennent d’ailleurs, avec qui je ne parle la même langue, je me sens étonnamment plus libre, j’ai l’impression que tout est possible et qu’en étant deux issus de cultures différentes, on peut essayer des choses nouvelles pour nous deux.
RG : Tu as aussi tes projets d’écriture et de réalisation en solo, l’envie d’écrire s’est assez vite assortie de l’envie de réaliser ?
JD : J’écris un long-métrage en ce moment dès que j’ai du temps pour moi, mais j'aimerais bien refaire un court avant.
Pour moi, réaliser c’était bien au-delà du plafond de verre. J’avais envie, mais j’avais l’impression que c’était un autre métier. Je me sens vraiment scénariste, pas réalisateur.
En tous les cas, ça se complète. On prend conscience de beaucoup de choses quand on passe à la réalisation, notamment l’économie, comment on peut faire confiance aux seules images et aux sons.
RG : Et tu écris pour la télévision ?
JD : Après l’école, j’ai fait des piges pour plusieurs boites qui faisaient de la télé.
Écrire pour la télévision, c’est aller dans le sens de l’Histoire, le cinéma n’excite plus tout à fait les foules comme avant, mais je suis pas sûr d’aimer le côté fordiste de la télé. Après ça me plairait bien d’écrire pour quelque chose qui existe ; En Thérapie par exemple, je trouve ça remarquable – et vachement bien, de proposer là maintenant qu’on est tous un peu abimé par ce qui vient de se passer, une série qui invite à se soigner.
On est dans un moment charnière de nos métiers. Le public ne se rend plus en salles. L’avenir ce sont les plateformes, les festivals. On n’arrive plus à faire venir les jeunes, peut-être parce que les histoires que l’on propose sont moins excitantes que les séries ou les jeux-vidéo.
Comment peut-on faire en sorte que les gens reviennent en salles ? Il faut essayer de penser un peu plus à eux - on écrit parfois trop pour soi peut-être. Je pense souvent à mes voisins, qui vont plus trop en salle depuis qu’il y a Netflix… qu’est ce que je dois leur raconter pour qu’ils aient envie d’y retourner ou plutôt comment leur donner envie de passer une heure et demi avec ces personnages ? Faut redonner envie de ce plaisir-là, c’est un peu ça peut-être aussi notre métier.
RG : Justement, c’est quoi pour toi le métier de scénariste ?
JD : C’est de proposer une histoire, un support pour que la personne qui va réaliser le film puisse faire des tours de passe-passe incroyables, de la magie, du vaudou et vienne appuyer sur les endroits bien planqués de notre cerveau. C’est pour ça que notre travail relève de l’artisanat. Le scénario c’est une étape de travail, pour la personne qui va se servir de l’image et du son, va susciter des émotions et appuyer sur des endroits qui relèvent de l’inconscient. Et puis être scénariste, ça doit être aussi dire, ou aider un auteur à dire, ce qu’on voit, ce qu’on sent du monde, là tout de suite, maintenant…
RG : Et si tu avais des conseils à donner à des débutants ?
JD : J’ai pas l’âge ni l’expérience pour donner des conseils mais si tu me demandes, j’essaie. Prendre un maximum de risques, essayer de raconter les histoires de la manière la plus dingue possible, trouver de nouvelles formes, s’ouvrir le plus possible à la beauté, à la folie qu’on a devant nous et prendre le risque de se raconter soi. A l’école, on m’avait appris que c’était narcissique, que c’est pas bien de se raconter. Au contraire, je trouve que c’est courageux, c’est généreux de le faire, c’est en étant le plus proche de soi qu’on peut paradoxalement toucher le plus grand nombre.
Je trouve que ces dernières années le niveau moyen des scénarios a augmenté. On écrit mieux, on structure mieux, les scénarios sont techniquement plus aboutis, mais les films ne sont pas mieux je trouve, en moyenne, peut-être parce qu’on ne prend pas assez de risques. Et ça se comprend, le cinéma est mal barré, aussi on pense qu’on a intérêt à refaire ce qui a été fait, redire ce qui a été dit et surtout, surtout ne rien changer parce qu’on veut peut-être qu’autour de nous, dans le monde, rien ne change.
Moi par exemple, j’ai l’impression d’avoir passé trop de temps à un peu refaire des films que j’avais déjà vus, en ajustant à la marge, en me disant : "je peux pas faire ça, j’ai pas le droit de raconter cela, pas comme ça." Or, c’est débile, tout est possible, c’est un médium jeune et qui permet de susciter des émotions d’une puissance inouïe.
Entretien réalisé en juin 2022
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Merci de citer le SCA-Scénaristes de Cinéma Associés pour toute reproduction