Écrire pour le documentaire

Série documentaire : Rencontre avec Olivier Daunizeau

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Caroline Pochon et Violette Garcia ont rencontré Olivier Daunizeau, scénariste et consultant, ancien chef de projet documentaire à la formation professionnelle de la fémis et intervenant dans la formation documentaire

Violette GARCIA : Pourrais-tu simplement resituer la formation sur les séries documentaires à la Fémis ? Depuis quand existe-t-elle et dans quel objectif a-t-elle été créée ?

Olivier DAUNIZEAU : Tout d’abord, la formation sur la série à la Fémis vient de fêter ses dix ans. Il faut situer le point d’origine à cet endroit. Quand la Fémis a ouvert la formation initiale, d’un an, à l’écriture et la création de séries, cela a fait grincer des dents. La Fémis était une école de cinéma, mais elle reste une école de métiers de l’image et du son et donc, la série n’était pas absente de « l’ADN » de l’école. Par ailleurs, quand la Fémis était l’IDHEC, je crois que Marcel L’Herbier avait déjà pensé que c’était intéressant que les salariés de la télévision soient aussi formés par l’école nationale de cinéma. Donc, de toutes façons, pour ce qui est de la distinction entre cinéma et audiovisuel (qui est quelque chose de très franco-français), je pense que sur ce point, la Fémis est passée à une autre étape.

Caroline POCHON :  David Elkaïm (qui était avec moi dans la 8ème promo), n’a pas eu son diplôme de la Fémis parce que son TFE (Travail de Fin d’Etudes) était un projet de série ! Et maintenant…

OD : Oui, il était le directeur du département Ecriture et Création de Séries pendant des années ! J’ai une opinion personnelle mais au nom de la Fémis, je n’ai pas grand-chose à dire sur cela, il y a une histoire qui continue. Je crois que la série a trouvé sa place et sa légitimité en fiction. En documentaire, ce n’est pas encore tout à fait le cas.

Donc, effectivement, il y a deux ans, un groupe de réflexion a été lancé par la Fémis, France Télévision, le CNC, la SCAM et l’association Ecritures Documentaires, dont j’étais président à cette époque, sur la série documentaire. C’était un groupe informel où ces partenaires se demandaient comment se saisir de ce format, qui existe depuis très longtemps en fait. Il existe depuis l’origine de la télévision. Il y a l’idée de rendez-vous, de fidéliser le spectateur. Il existe des collections documentaires de la RTF des années cinquante qui sont formidables, qui font vraiment partie du patrimoine de la télévision et du documentaire. Mais on avait l’impression que la série documentaire était une invention récente, importée par les plateformes américaines. Le groupe de réflexion a mené des travaux pour montrer qu’il n’en était rien. Il y a eu une journée de rencontres professionnelles, le 28 novembre 2022, ici, à la Fémis, suivie par une table ronde au FIPADOC en janvier 2023, « La série documentaire à l’épreuve du réel ». En avril 2023, une journée d’études a été organisée par le service de la recherche de la Fémis, durant laquelle des communications d’universitaires ont tenté, du côté français mais aussi du côté canadien, des années soixante-dix à aujourd’hui, de donner des perspectives historiques à ce format. Sachant que, comme beaucoup d’objets télévisuels, c’est un format qui n’a pas de corpus universitaire conséquent, qui est un peu méprisé d’une partie des universitaires et d’une partie du monde du documentaire.

VG : C’est quelque chose que tu ressens ? 

OD : C’est quelque chose que je ressentais. J’ai essayé de rencontrer des personnes qui faisaient des mémoires ou des thèses sur ce sujet : on leur a dit de laisser tomber. « C’est un non-sujet ; comme le webdoc, c’est une mode, cela va passer ». En réalité, je pense le contraire ! Mais ce sont des polémiques, des discussions qui continueront d’avoir lieu et ce n’est pas très grave. En tout cas, il y a eu aussi une table ronde en janvier 2024, organisée par la FJPI (la Fédération des Jeunes Producteurs Indépendants), qui s’appelait justement : « La série documentaire à l’épreuve de la fiction », sur le mariage des équipes documentaire/fiction. Est-ce que cela se complète, est-ce que cela se dispute ? Tout cela est très intéressant pour repenser l’écriture d’un documentaire, c’est aussi cela qui m’intéresse à titre personnel.

Quand je suis arrivé en poste à la Fémis, en tant que chef de projet documentaire en formation professionnelle, à l’automne 2023, tout de suite nous nous sommes dit que nous allions mettre en place cette formation à la série documentaire. On avait abouti un premier cycle de réflexion avec ce groupe et on s’est dit que c’était un format qui a toute sa raison d’être, qui a une histoire et aussi un avenir. En effet, on a appris que la direction de France Télévision, mais aussi d’autres chaînes, d’autres plateformes, voulaient augmenter les volumes de séries à l’antenne, à la diffusion en tout cas. En linéaire à l’antenne ou en plateforme sur France.tv, sur Slash et sur les plateformes américaines.

VG : Donc, il y aurait une tension entre expliquer que c’est un format beaucoup plus ancien que ce que l’on pourrait croire, et de ce fait pas réductible uniquement à une demande récente des plateformes, tout en cherchant à répondre à ce qui serait, si je caricature un peu, une demande croissante de la part du « marché », initiée justement par ces plateformes.

OD : De toutes façons, en formation professionnelle, on est obligés de ne pas être dans une bulle étanche au marché, même si c’est un marché public, parce qu’une formation professionnelle a un lien direct avec le Ministère du Travail. Donc, si les formations professionnelles qu’on met en place n’offrent pas de débouchés sur le marché de l’emploi, on ne répond pas à nos missions. Sur ce point, c’est assez clair.

CP : Peux-tu entrer dans le concret de la formation ?

OD : On a réfléchi à un parcours en partant d’un double postulat, qui est effectivement que l’on voulait donner une légitimité au format, le sortir du « True Crime », genre prédominant sur les plateformes américaines – mais qui n’est pas forcément le genre favori d’Arte, qui fait de la série d’Histoire depuis trente ans (des 3x52 minutes, des 6x52, des 9x52 ! Par exemple, Ken Burns, La guerre du Vietnam, je crois que c’est 9 x 52 minutes).

En 52 minutes, on ne peut pas raconter beaucoup de choses. Les réflexions qui ont jalonné nos discussions, c’est qu’aujourd’hui, si Marcel Ophüls voulait refaire ses films, les producteurs lui proposeraient plutôt, certainement, de les produire sous format sériel. Le Chagrin et la Pitié, c’est deux séances de cinéma, avec un entracte, mais cela peut faire 4 fois une heure. De nombreuses œuvres, lorsqu’on les revoit à la lumière des usages des publics, pourraient tout à fait trouver leur première diffusion en format sériel. Ce qui n’empêche pas la projection en festivals, la reprise en salles et autres.

On voulait donc donner une légitimité historique au format. Le premier jour de la formation, on s’est vite dit qu’il fallait que nos stagiaires prennent conscience de cette histoire, à travers la télévision américaine, la télévision anglaise et la télévision française. Donc on a construit une première journée de formation avec différentes séries qui ont marqué leur temps, leur époque (An american family, 1971 ; la série Up sur la BBC, Channel Four et des séries françaises, notamment la série de Daniel Karlin par laquelle Rémi Lainé est venu à la télévision). C’était important que Rémi Lainé soit tuteur de cette formation, car il est passé du journalisme au documentaire par le biais de la série : Les chroniques de lhôpital dArmentières, Justice en France, au début des années 90. Ce sont des 10x52 minutes, parfois des 4x90 minutes pour France 2, à l’époque. On a oublié tout cela ! Le premier point était donc de donner une légitimité et une perspective historique au format, afin que les stagiaires puissent aussi trouver leur filiation, quelque part.

Et puis, deuzio, nous sommes partis du constat (vous allez me dire si c’est un sujet pour vous), que la majorité des documentaristes sont des autodidactes de la dramaturgie. En effet, ils ne viennent pas d’un cursus en scénario. Ils viennent d’un cursus universitaire en sciences sociales. Ils viennent de faire de l’Histoire, du journalisme, et du coup, pour la plupart, ils se sont formés sur le tas aux questions de dramaturgie et de narration. Donc, nous n’avons pas voulu passer à côté de cette question, notamment en termes de dramaturgie sérielle. Et nous avons construit un module de trois jours avec Noémie de Lapparent, que vous connaissez, qui est scénariste membre du SCA, et qui a fait trois jours sur le thème : « éprouver la sérialité documentaire à partir de la grammaire de la série de fiction ». A partir d’exemples de fictions, on se demande où on en est en fiction pour penser la sérialité, pour la construire et donc, pour aller la détecter dans la matière documentaire que les stagiaires apportent, car c’est une formation qui se fait aussi sur projet. 

On a donc sélectionné 12 stagiaires, parmi la trentaine de candidatures. Je tiens à dire que parmi les 30 candidatures que l’on a reçues, il n’y en avait pas une pour le True Crime ! On avait des projets d’Histoire, de société contemporaine. En fait, du « documentaire à la française », mais qui déborde de l’unitaire, ou qui a déjà sa mécanique sérielle, avec déjà des rebondissements quand la base est une enquête ou même quand la base est historique. Dans une autobiographie, petite histoire et grande Histoire, sur plusieurs générations, on sent tout de suite qu’il y a quelque chose qui va nous emmener sur des boucles et des rebondissements.

On vient de commencer cette première session et on a traversé ces journées : histoire et esthétique, trois jours de dramaturgie sérielle.

Ensuite, c’est l’atelier d’écriture, avec Rémi Lainé et Agnès Pizzini. Enfin, Mark Edwards nous a proposé trois études de cas pour que l’on passe de l’Histoire à aujourd’hui : trois études de cas de séries contemporaines (il était autrefois producteur de documentaires, a passé dix ans à Arte comme conseiller de programmes, puis à Netflix et il a donc, à ce titre, encadré une vingtaine de séries documentaires).

Nous travaillons sur l’écriture, la production et les questions qu’elles posent en termes d’éthique, quand on fait venir un scénariste de fiction dans de la matière documentaire. Nous avions détecté dès le début cette question de l’éthique. Tout d’abord, sur la série Grégory, au début, Gilles Marchand ne voulait pas s’engager. Il disait qu'il lui était possible d’écrire des histoires dans lesquelles on tue des gens en fiction, mais que dans la réalité, c’est une autre paire de manches ! Finalement, après deux ou trois rendez-vous avec la productrice, il a bien voulu s’emparer de cette série. Ce sont des questions récurrentes : comment l’ADN journalistique, l’ADN purement documentaire et l’ADN scénaristique vont donner quelque chose qui reste apparenté à du documentaire, et ceci sans pousser l’artifice jusqu’à jouer sur un suspense où l’éthique documentaire serait mise à mal.

VG : C’est toute la question. Comment arrivez-vous à déterminer ou à poser la limite, au sein de cette formation, tous ensemble ?

OD : On n’y arrive pas ! C’est un chantier. On n’a pas de réponses. Ce sont des réponses au cas par cas. Mais les stagiaires sont tous arrivés avec cette question « conscientisée ». Les formateurs aussi, bien sûr. Donc, c’est un point de vigilance qui restera, de toute façon. Dans dix ans, on le retrouvera. Après, on a invité Jean-Xavier de Lestrade à faire une masterclass sur The Staircase, qui est la mère des séries True Crime, en tout cas, une série culte, qui fête ses vingt ans aujourd’hui.  Quand on la revoit aujourd’hui, la question éthique est claire : il n’y a pas de cliffhangers. C’est-à-dire que les rebondissements ouvrent chaque épisode, mais on ne termine pas sur : « que va-t-il se passer après ? ». D’ailleurs, il nous a expliqué que dans ses séries de fiction, il n’utilise pas non plus de cliffhangers outranciers.

CP : En quoi un cliffhanger ne serait-il pas éthique ?

OD : C’est-à-dire que le suspense, en documentaire… Si on raconte, par exemple, l’histoire d’une guerre. C’est une histoire connue de tous. Donc, on peut rejouer le récit en se demandant, par exemple, en 1936, que va-t-il se passer avec Hitler, etc. L’Histoire est connue, c’est le patrimoine commun. Donc, on peut y réinsuffler de l’énergie narrative, de la dramaturgie. En revanche, si on regarde, par exemple, l’histoire de Michael Peterson : a-t-il tué sa femme ou n’a-t-il pas tué sa femme ? Va-t-il être blanchi ? Là, faire peser un suspense sur les épaules d’une vraie personne – car on a cela dans le pacte documentaire entre film et personnage - je trouve cela compliqué. Je ne sais pas le formuler mieux, mais c’est un vrai sujet. Ce serait un sujet de mémoire de Master !

VG : Avec quoi les stagiaires sortent-ils de la formation ?

OD : Les stagiaires sortent avec un dossier de développement et la matrice d’un pitch.

VG :  Est-ce que cela ressemble à une bible de série ?

OD : C’est toute la question. En fait, quand on regarde le glossaire du documentaire unitaire, qui a été cosigné par les organismes professionnels en 2020, dont la SCAM, on a mis du temps à trouver le vocabulaire pour qualifier les éléments d’un dossier documentaire. Donc, je pense que l’on n’a pas encore les éléments d’un dossier de série documentaire. Va-t-on « copier-coller » ceux de la fiction ou bien en inventer d’autres ? La question n’est pas réglée et je pense que l’on va la régler chemin faisant.

En parallèle à notre formation, il est important de savoir que le CNC a ouvert les aides à l’écriture et au développement de séries documentaires. Et du coup la Fémis et le CNC échangent : que recevons-nous ? Quel type de dossiers ? En fait, on s’aperçoit que dans ce que le CNC reçoit, il n’y a pas de matrice claire, à la différence de ce que la SCAM ou le CNC ont pu mettre en place il y a quelques années, et qui, aujourd’hui, sont un attendu commun. Il n’y a pas encore de dossier-type. Je crois qu’il faut nous laisser du temps, de part et d’autre, pour qu’on arrive à dire que cela va s’appeler une bible, avec un concept, des arches, des personnages, etc. La question du personnage en documentaire étant aussi un vaste sujet.

On a l’idée que cette formation, qui s’étale de fin mai à fin septembre, c’est 15 jours au total, avec trois modules d’ateliers d’écriture, après la première session d’ouverture. Il y a une préparation au pitch (ce n’est pas un pitch public, c’est un pitch à huis-clos, bienveillant, ce n’est pas une épreuve. C’est la première session, donc on essaie de ménager tout le monde). En revanche, le pitch sera écouté par trois professionnels de la série documentaire, dont Johanna Bedeau, qui est productrice de l’émission LSD (La Série Documentaire) sur France Culture. Effectivement, notre formation audiovisuelle à la série documentaire est tout de même une formation à la dramaturgie (ce n’est pas en soi une formation à la réalisation, même si on va en parler). Et les gens qui travaillent pour le podcast rencontrent les mêmes questions que nous. On essaie de faire des ponts avec le monde du podcast (Arte radio, France Culture) parce que le podcast a pris beaucoup d’importance dans les usages des publics. 

VG : La radio s’empare aussi depuis longtemps de ce format sériel et documentaire. Peut-être même historiquement, avant les formats sériels télévisuels…

OD : Oui, peut-être.

CP :  Il y avait les feuilletons radiophoniques, les dramatiques. En fiction.

OD : Oui. Une nuance que nous sommes en train de clarifier est celle qui existe entre collection et série. Dans une collection, il y a un lien thématique sur plusieurs épisodes, qui peuvent être vus dans n’importe quel ordre et qui n’ont pas de lien narratif de l’un à l’autre. Dans la série, on a vraiment l’idée de feuilletonnement. Dans la série documentaire de France Culture, parfois, il n’y a pas de feuilletonnement clair. Il y a un lien thématique. Parfois, il y a un feuilletonnement très vissé. Arte radio a des podcasts sériels très feuilletonnants, où l’on est happé dès le premier épisode. On a envie de savoir la suite, on écoute le deuxième et puis on va jusqu’au bout !

CP : Quel est le profil des 12 personnes et des candidats en général, et quelles sont les épreuves de recrutement, pour cet atelier ?

OD : C’est une question importante. D’une part, on ne voulait pas ouvrir la formation à des débutants (c’est une formation professionnelle). Mais on voulait vraiment que les personnes qui allaient suivre cette formation aient déjà une expérience acquise, aient réalisé un documentaire, ou deux, ou trois, avec une vraie production et avec un diffuseur, parce que l’on sait que les enjeux financiers, de production, de rapports avec le diffuseur vont être plus forts [en série]. Il y a plus d’argent, donc il y a davantage de pression. Donc, on a refusé des candidatures pour des personnes dont c’était la toute première œuvre. On leur a dit que s’ils n’avaient pas fait un unitaire a minima, et pas en autoproduction, on ne pouvait pas les prendre. C’était un pré-requis.

Il fallait avoir un projet qui soit au-delà d’un fantasme ou d’une idée, c’est-à-dire qui ait déjà démarré sur le terrain de l’enquête documentaire. Donc on a demandé le résumé du projet, le format sériel envisagé et l’état d’avancement de la recherche documentaire. On voulait être sûrs que l’on avait bien un projet sériel. On a reçu des candidatures qui étaient faites avec des collections, il y avait juste un lien thématique. J’ai fait des réponses personnalisées pour leur dire que ce n’était pas sériel à notre sens. Pas feuilletonnant.

Et à l’arrivée, les candidatures qu’on a retenues, ce sont des gens qui ont entre 30 et 60 ans, qui ont fait entre trois et quinze films minimum (du reportage, du magazine, on a quelqu’un qui bosse pour Envoyé Spécial). En fait, c’est assez remarquable, on a l’ancien coordinateur des Etats Généraux de Lussas, on a quelqu’un qui a fait beaucoup de reportages pour Faut pas rêver et Des racines et des ailes. On a des gens qui font du documentaire d’auteur, du documentaire télé, du magazine, du reportage, ou du documentaire très « Lussas », je ne sais pas comment le dire autrement. Documentaire de création.

VG : Le panel est très large. 

OD : Oui, le panel est très large. Mark Edwards, qui est habitué car il a bossé chez Arte, chez Netflix mais il a aussi travaillé pour les Rencontres d’août à Lussas, a dit : « J’aime tout le monde. Mais d’habitude, je vais dans une chapelle, puis dans une autre, mais là, il y a tout le monde. Pourquoi ? ». Je lui ai dit que c’était normal, tout le monde a besoin de la même chose, personne ne maîtrise la dramaturgie sérielle. En sous-texte, personne ne maîtrise assez la dramaturgie pour se lancer dans une écriture sérielle.

CP : Vous demandez un cv, un dossier. Il y a un oral ?

OD : Un cv, oui mais il n’y a pas d’oral, c’est sur dossier seulement.

VG : Et comment se passe la discussion entre des gens qui viennent dhorizons si différents ? 

OD : Cela dialogue autour des mêmes enjeux. Là, je crois que d’une part, la première journée est fondamentale, pour légitimer le format par son histoire. Donc, chacun a pu trouver un point d’ancrage (« moi, c’est plutôt tel style, telle école »). Le fait de constater que ce format est pluriel détend. On n’est pas condamné à « faire » du fait divers (même si personnellement, j’aime beaucoup le fait divers !). La deuxième raison, c’est que tout de suite, on les a confiés à Noémie de Lapparent pendant trois jours. Elle leur a fait faire des exercices autour de la fiction, parfois autour de leurs projets. Le point commun s’est développé autour de ce dont ils avaient besoin. Ce besoin d’avoir des outils, ils l’ont tous en partage. Personne n’avait les outils que Noémie de Lapparent leur a donnés. 

VG : C’est une question que l’on se pose beaucoup au SCA : qu’est-ce qu’un ou une scénariste, et qu’est-ce qu’un ou une scénariste documentaire, précisément. On a discuté avec des gens qui finissaient par nous dire qu’en fait, il n’y a pas de spécificité à l’écriture documentaire et que lorsqu’on leur propose un projet, ils écrivent aussi bien de la fiction que du documentaire. Pour eux, peu importe. Ils accompagnent un film. 

OD : Est-ce qu’il y a une spécificité de l’écriture documentaire ? Pour moi, oui, il y en a une. In fine, le résultat, malgré tout, si on n’est pas sur un documentaire qui s’articule par la thématique, mais si on est vraiment dans l’idée de raconter une histoire, le résultat en documentaire et en fiction peut sembler proche. Je donne ces réponses de manière personnelle et non pas au nom de la Fémis. On a discuté de cela avec les intervenants de la formation. Il y a tout de même deux mondes, celui du documentaire et celui de la fiction. Mark Edwards a suivi pendant deux jours la formation de Noémie de Lapparent, qui a assisté à la première journée. On a aussi croisé les regards et les expériences.

J’ai l’impression qu’un documentaire s’écrit « dans l’autre sens », par rapport à une fiction. C’est-à-dire que même si une fiction peut être documentée (si on est pas dans de la pure science-fiction, même si on fait un film de fiction que l’on veut inscrire dans la société d’aujourd’hui, on va beaucoup se documenter, il n’y a pas de souci), mais après, on peut avoir un personnage que l’on modifie selon son imaginaire et à qui l’on peut faire subir les pires outrages, ou les meilleures histoires, mais on n’a pas du tout cette potentialité-là en documentaire, où il s’agit plutôt de révéler les histoires qui sont vécues par les gens. C’est là où cela va dans l’autre sens.

Le pari du documentariste, le talent du documentariste, c’est de deviner par quel récit on est habité à l’échelle individuelle et par quel récit collectif on est aussi habité. En tout cas, quel destin habite une personne, quelle narration il se fait de lui-même et de son destin. C’est sur cela qu’il y a une alchimie. C’est comme cela que je vois les choses. Et c’est là où se situe le personnage documentaire, d’ailleurs. C’est vraiment la rencontre entre le réel, qui est la personne, et le personnage qui appartient à l’auteur, une projection de son imaginaire sur ce qu’il ressent de la personne. Cela libère beaucoup de choses de penser le documentaire comme cela. J’ai remarqué que dans le monde du journalisme comme dans celui du documentaire d’auteur, il y a des gens qui disent, par exemple : « j’ai déjeuné avec mon perso » ! Enfin, la différence entre personne et personnage n’est pas claire pour tout le monde.

VG : Donc, c’est quelque chose qu’il faut replacer ici.

OD : Pour moi, c’est fondamental. On en a beaucoup parlé ici avec Noémie de Lapparent, aussi. L’une de ses qualités est qu’elle est scénariste de fiction (unitaires et séries), mais elle intervient aussi de temps en temps en tant que consultante sur des écritures documentaires. Donc, elle est déjà initiée. Elle aime cela en tant que spectatrice et en tant que praticienne, elle a déjà des points de repère. 

VG : Si je comprends bien, les bénéficiaires de la formation sont des auteurs-réalisateurs, ils sont amenés à réaliser le projet sériel qu’ils apportent ici. Or c’est une formation axée sur l’écriture et la dramaturgie. Est-ce que la co-écriture a été envisagée à un moment donné de la formation ? La rencontre avec un scénariste, un consultant ?

OD : C’est une question extrêmement importante… que l’on ne s’était pas posée. Mais au bout du premier module, elle est apparue. Il y a un objectif que l’on va rajouter l’année prochaine, parce qu’effectivement, cette collaboration avec un scénariste n’avait pas été incluse comme un objectif pédagogique concret. Or, il me semble majeur. C’est beaucoup d’énergie d’écrire une série documentaire. J’ai entendu beaucoup d’histoires de mésententes dans des mariages forcés entre des équipes d’enquêteurs, de documentaristes et de scénaristes de fiction. Du coup, la question d’un langage commun apparaît comme une nécessité absolue. Chaque équipe peut inventer son langage commun. Il n’y a pas une seule façon de nommer les choses. Mais pour pouvoir travailler ensemble, cela tombe sous le sens, mais voilà !

Donc, le fait que nos stagiaires aient défriché, - parce qu’en trois jours, on ne devient pas scénariste non plus - , les outils de la fiction et le moteur sériel, cela va leur permettre de pouvoir accueillir de façon apaisée un collaborateur éventuel qui viendrait de l’univers de la fiction.

CP :  Est-ce que certains stagiaires vont se destiner à la réalisation de séries documentaires et d’autres simplement à l’écriture, ou bien, d’office, vous formez des auteurs-réalisateurs de séries documentaires ? Comment envisagez-vous la carrière des personnes que vous formez ?

OD : On a ouvert la formation à des auteurs.trices, des réalisateurs.trices de documentaires cinéma, radio ou télévision, et aussi, à des monteurs.teuses de cinéma. Pour l’instant, on a reçu des gens qui n’avaient quasiment tous qu’une expérience audiovisuelle. Tous ont un passé de réalisateur ou de réalisatrice. Donc, on ne se pose pas la question. Si leur série se fait, ils vont être auteur, ou coauteur.trice, et ils seront réalisateurs, ou co-réalisateur.trices. C’est sûr. Après, on verra. On aimerait que des monteurs ou des monteuses viennent aussi, mais cela voudrait dire qu’il faudrait qu’ils aient un projet, qu’ils deviennent auteurs. Et un monteur n’est pas forcément destiné à être auteur. Enfin, il peut être auteur et faire la réalisation avec quelqu’un d’autre. Cela, on le verra. C’est pour plus tard. Aujourd’hui, dans notre groupe, les participants sont tous réalisateurs.

CP : Donc, on ne forme pas des scénaristes de séries documentaire, avec cette spécificité.

OD : Ce n’est pas notre objectif, même s’il est vrai que c’est une formation à l’écriture. Ce n’est pas non plus une formation à la réalisation. En réalité, c’est une deuxième spécificité de l’écriture documentaire : quand on écrit un documentaire, on écrit aussi bien des intentions que de la narration que de la mise en scène, de la réalisation. Donc, on est tout le temps lié entre les trois écritures, les trois parties du dossier. Alors qu’en fiction, on peut peut-être se concentrer sur la narration, quand on écrit « que » le scénario. L’écriture documentaire sans envisager la mise en scène me parait impossible. C’est aussi une différence, je pense, entre la fiction et le documentaire.

CP : Cela m’amène à ton autre casquette d’ancien président de l’association Ecritures documentaires (EDOC), dont je fais partie aussi. Il y a des auteurs spécialisés dans l’écriture documentaire, qui accompagnent des projets, souvent des unitaires, souvent pour le cinéma. Est-ce que ces profils-là ne pourraient pas avoir un intérêt à se former à l’écriture de séries et à accompagner des réalisateurs ou des auteurs-réalisateurs spécialisés dans la série documentaire ?

OD : Je crois que si. L’objectif de cette formation, dans le contexte plus global du paysage français, avec le CNC, France Télévision et les autres chaînes, est que toute la profession monte en compétences : les auteurs, les réalisateurs, les scénaristes, les monteurs, les diffuseurs, les producteurs. Tout le monde. Notre formation se concentre sur un public, celui des auteurs-réalisateurs. Elle ne peut pas être ouverte à des consultants purs car elle est sur projet. Donc, il faut porter un projet en tant qu’auteur.trice. Cela limite forcément l’entrée à la formation à des consultants qui n’auraient pas de projet.

Il est important aussi de faire ce lien avec le CNC qui met en place des aides à l’écriture et au développement. Car les questions que nous nous posons, le CNC se les pose aussi. Eurodoc, en septembre, a lancé un appel à projet pour former des producteurs et des productrices avec une formation qui s’appelle « Produire une série documentaire ». Si l’on invente un langage et si demain, cela se traduit par un dossier un peu normé, de type « Aide à l’écriture du CNC », il est important que les producteurs aient aussi le même vocabulaire.

On est donc dans une année, 2024, où la profession commence à se former, et passe peut-être de faire de la série en artisanat, en innovation pure, avec beaucoup de risques… à une professionnalisation. Les trois maîtres-mots que j’ai entendus lorsque j’ai rencontré les gens qui font de la série documentaire, c’est : procès, burn out et faillite ! Des sociétés ont coulé parce que ce n’est pas vrai que le fait de faire une série de 3x52 minutes correspond à trois budgets de 52 minutes. Il faut un peu plus, parce que c’est plus de temps d’écriture, de temps de montage. Et si on n’a pas anticipé cela, on va dans le mur. Des montages se sont enlisés parce qu’il manquait de la matière. Des producteurs nous disent qu’ils ne font pas partir une série documentaire en production si le chef-monteur n’a pas relu le dossier et ne s’est pas entretenu avec l’équipe, parce qu’une série, contrairement à un unitaire où l’on va pouvoir mettre un commentaire qui va soutenir la narration, est souvent sans commentaire. On a besoin de davantage de matière. Donc, il y a eu beaucoup d’essais et d’erreurs de certains professionnels. Certains se sont fait peur. C’est vraiment toute la profession qui doit s’emparer du format, de ses spécificités et avec les outils que l’on met en place, c’est-à-dire formation et aide financière.

VG : Donc, c’est en train de naître.

OD : De naître ou de renaître je ne sais pas, mais c’est en train de se formaliser. On passe du prototype à quelque chose de plus…

VG : Codé ?

OD : …codé, ou en tout cas, plus outillé. Pour ne pas dire codé, dans le sens formaté. Cela reste un format. (…) Il faut dédiaboliser ce format. En tout cas, je ne sais pas si vous l’avez diabolisé un jour…

VG : Quand même, cet espèce de repoussoir, ou pas, autour du True crime, je me demande aussi quand même si cela na pas de vrais fondements. Cest-à-dire que là, on se dit que cest super, les stagiaires de la formation venaient avec complètement autre chose, et pas du tout du True crime, le fait est quen tant que spectatrice, je peux avoir limpression que ce qui est le plus mis en avant et en valeur dans la série documentaire, cest cela. Même par rapport à la communication qui peut être faite autour des séries documentaires plus historiques, jai limpression quelles sadressent à un public beaucoup plus confidentiel, que ce nest pas quelque chose qui est tellement mis en avant. Est-ce quelque chose que vous ressentez, que vous déplorez ? Quen dit France Télévisions, par exemple ?

OD : France Télévisions, sur ce point, a un discours assez clair. Cela vaudrait le coup que vous rencontriez Julie Grivaux, qui est la directrice adjointe des documentaires, éventuellement. Elle dit que France Télévision ne peut pas faire « du True crime pour du True crime ». Parce qu’effectivement, la mission de service public intervient. Ce sont les quatre missions de l’ORTF : éduquer, cultiver, informer, distraire. Autant, Netflix n’a pas ce cahier des charges. Son but, en tant que plateforme privée, est de faire de l’audience. Donc, la promesse d’émotion et d’adrénaline vont faire que… Malgré tout, je trouve que Gregory est une série très réussie. Gilles Marchand est quelqu’un que je trouve très fin. Il dit aussi comment cette expérience documentaire lui a permis d’aborder La nuit du 12  (dont il est le coscénariste avec Dominique Moll) avec un regard renouvelé sur certaines choses.

CP : Cela innerve, donc. Cela rejaillit dans l’écriture de ce qui aurait pu être un film policier classique et qui devient un film dauteur très original, dont le héros est un policier.

OD : Dans la table ronde « La série documentaire à l’épreuve de la fiction », un producteur parlait de la série Le ventre de la bête, qui est un « true crime » qui se passe dans l’île de Jersey (un 4x52 minutes pour Planète +). Cela parle d’un fait divers avec des agressions ou des meurtres d’enfants, des enlèvements, enfin, quelque chose d’assez glauque. Et finalement, l’on s’aperçoit que le système policier et judiciaire de l’île de Jersey n’arrive pas à élucider cette affaire, alors que c’est une toute petite communauté, qui se vit comme la plus vieille démocratie d’Europe. On comprend que finalement, il y a de la collusion et de la corruption assez fortes, liées au système fiscal de l’île, qui fait que comme il n’y a pas d’impôts, il n’y a pas d’aides sociales. Du coup, les enfants sont vite livrés à eux-mêmes. Et les prédateurs sont parmi nous. Et finalement, on les connait… Je caricature un peu, mais à partir du fait divers, on a finalement un thème très politique. Et c’est une série très forte. Le producteur racontait comment le scénariste de fiction est venu pour atténuer la puissance sidérante qu’il y avait dans les faits réels, qui devenaient une matière incontrôlable pour la mettre en mode narratif. Le scénariste de fiction a atténué des choses pour que cela ne semble pas complètement fou ! Il a crédibilisé le réel en l’atténuant. C’est un cas d’école, pour moi.

Entretien réalisé à la Fémis, le 12 juin 2024

Portrait Olivier Daunizeau © Caroline Pochon

Merci de citer le SCA-Scénaristes de Cinéma Associés pour toute reproduction

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