Alors que s'ouvre la rétrospective consacrée à Annette Wademant à la Cinémathèque française (du 19 au 23 février), rare événement autour d'un.e scénariste, Pascale Breton a écrit ce texte.
Dans l'Atlantide des œuvres féminines, il y a Annette Wademant (1927-2017). Comme toutes les personnes invisibilisées, elle balançait entre une grande modestie (et la joie d'être fondue dans la société humaine qu'elle aimait décrire) et des moments d'auto-proclamation où elle rappelait qu'elle était la première femme scénariste française, s'agaçant du fait que Françoise Giroud s'était arrogé ce titre pour avoir seulement été la scripte de Renoir sur La Grande Illusion. Annette, c'est à la fois les dialogues étincelants et Nouvelle Vague avant la lettre d'Edouard et Caroline et Rue de l'Estrapade de Jacques Becker, ce sont les personnages féminins inoubliables de Madame de et Lola Montès, c'est aussi la version sexy et égoïste du féminisme qu'a apportée la très jeune Brigitte Bardot dans les films de Michel Boisrond, son époux.
Puis elle devient la taupe modèle de la Nouvelle Vague, invitée dans les 400 coups par Truffaut pour conclure le film en voix off, adorée par Godard qu'elle aide à écrire une Femme Mariée, convoquée par Les Cahiers époque bandeau jaune pour signaler des films que les critiques avaient oubliés dans leur tableau d'étoiles. A partir de ce moment, elle organise son effacement : nombreux films (dont Garrel) où elle demande à ne pas être créditée au générique, rejet d'un élitisme dans le cinéma français, intérêt pour la vie surpassant celui pour la création. Pourtant, elle ne cède en rien sur sa cinéphilie. Commenter les films était pour elle une telle passion qu'elle pouvait pendant une semaine ne parler que d'un seul film en cherchant avec une ténacité unique à percer son secret, son secret profond.
Je l'ai beaucoup vue dans les années 90. J'avais été frappée par la récurrence de son beau nom sur les génériques de films très différents et j'ignorais si elle était toujours en vie. J'ai découvert que nous avions des amis communs et je l'ai invitée à une prise de parole dans un atelier de scénaristes que je conduisais pour le GRETA Arts et Spectacles à Bagnolet. Elle a commencé par dire non, expliquant qu'elle avait toujours refusé de faire des conférences, tout simplement parce qu'elle en était incapable. Je lui ai dit que ce ne serait pas une conférence mais une sorte de conversation. Que les jeunes scénaristes (souvent plus vieux que moi à l'époque) étaient seulement dix. Elle a eu envie de se laisser convaincre. Mais ça a pris du temps. Temps pendant lequel nous avons sympathisé.
Avec Annette on se retrouvait aussitôt à la Coupole, des huîtres et du Champagne arrivaient sur la table, le photographe du lieu était hélé pour qu'on fasse une photo commémorative (il faut que je retrouve cette photo), les tables voisines étaient interrogées sur leur relation à l'amour, comment s'étaient déroulées leurs rencontres, et une multiplicité de scénarios naissait de la vie même, en un instant, sous nos yeux. Son charisme, son autorité, son enthousiasme, son intelligence étaient alimentés par un refus obstiné de la théorie qui faisait qu'on devait toujours repartir de zéro pour comprendre la plus petite aventure humaine.
Un jour j'écrirai plus sur Annette. J'écrirai aussi sur le fait que j'ai cessé de la voir quand je suis revenue vivre en Bretagne au début des années 2000. Mais c'est une autre histoire. Demain, enfin enfin, la Cinémathèque française ouvre un cycle à Annette Wademant. A 20h, il y aura Edouard et Caroline, en présence de ses deux enfants François et Cécile Boisrond. Hâte de revoir ce beau film. Je pense énormément à elle ces jours-ci. Et je forme le vœu que ce simple cycle soit le prélude à une prochaine vraie rétrospective.
Pascale Breton