Nous avons appris avec tristesse la disparition de Michel Fessler, scénariste et réalisateur.
Michel Fessler avait travaillé sur de nombreux films qui ont compté : Ridicule, La Marche de l’Empereur (Prix du Meilleur Scénario Documentaire, Writers Guild of America), T’choupi, Le Chêne, Le Petit Nicolas - Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? (Cristal du Long Métrage au Festival International du Film d'Animation d’Annecy et Prix Lumière du film d'animation) pour n’en citer que quelques-uns. Il pouvait écrire dans des registres très différents et avait réalisé l'année dernière Bambi, l’histoire d’une vie dans les bois.
Michel était aussi le camarade d’écriture et l’ami de quelques-un.e.s d’entre nous. Il avait de nombreux projets en cours. Son énergie et sa détermination à aller de l’avant étaient communicatives.
Nous partageons ici trois textes écrits par Gilles Taurand, Agnès Bidaud et Karine Winczura, scénaristes et ami.es de Michel, qui chacun.e témoigne autant de son travail que de sa personnalité.
Le SCA, dont Michel Fessler était membre, adresse ses sincères condoléances à son épouse Catherine et à ses proches.
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Gilles Taurand :
"Michel était un ami de longue date, un compagnon de route comme je les aime, avec qui j’ai partagé des moments de vacances et d’insouciance mais aussi, plus sérieusement, la même passion pour le cinéma et l’écriture du scénario. Je ne vais pas énumérer ici son impressionnante filmographie, d’une incroyable variété. Son amour du XVIIIe siècle l’avait poussé à réaliser en 1997 un court-métrage très prometteur intitulé La leçon de vie de monsieur Paillasson, une leçon magistrale de désir, d’amour et de calligraphie à la plume d’oie qui m’a souvent fait penser à ce proverbe chinois : « qui trempe sa plume dans l’encrier se sent pousser des ailes ». Pas plus tard qu’au mois de mars de cette année il m’a envoyé, pour que je lui donne mon sentiment, un scénario intitulé « Le Vertige », co-écrit avec son ami Jacques Forgeas et qu’il souhaitait réaliser. Nous étions de nouveau dans le siècle des lumières et pas loin des ténèbres. C’est dire que ses projets ne manquaient pas, bien au contraire, auxquels il faut ajouter un scénario que nous aurions écrit à quatre mains et pour la première fois : Gustave Courbet, accusé en 1871 par les Versaillais d’avoir participé au déboulonnage de la colonne Vendôme - un peintre célèbre devenu paria du jour au lendemain, je trouvais cette idée de Michel passionnante. Quand j’ai appris avec stupeur sa maladie, j’ai cru, naïvement, qu’en précipitant l’écriture de notre scénario, on allait édifier un rempart contre l’irrémédiable. Le soir de son soixante-dixième anniversaire, avec sa bien-aimée Catherine, il avait réuni chez lui des amis proches. C’était le 22 mars. On avait bien mangé et beaucoup ri ce soir-là. On « savait » mais on avait confiance dans l’avenir, à commencer par Michel…"
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Agnès Bidaud :
"Une infinie tristesse m’a saisie en apprenant le décès de Michel Fessler.
Sensible, fidèle, d’une intuition presque animale tout en étant très cultivé, Michel a été une magnifique rencontre. Sans doute la plus importante de ma vie professionnelle.
Dans ce voyage au long cours, il était la. Toujours la. Comme un repère. Pour guider sans trop en dire. Pour éclairer avec subtilité. Sans jamais rien imposer. Un scénariste, un vrai. De ceux qui vous font aimer passionnément ce métier.
La première fois que j’ai vu Michel, il y a 25 ans, il était dans le petit bureau de la production Boréales, sous les toits. Il parlait avec le producteur Frédéric Fougea de leur projet « Toko et Likola », qui deviendra ensuite le long métrage « Man to Man » réalisé par Régis Wargnier. Par quel mystère 100 pages de texte dialogué allaient-elles donc devenir un film ? J’étais jeune et émerveillée par ce processus d’écriture d’une infinie complexité entre deux scénaristes et un réalisateur ; j’ai découvert ainsi de façon empirique - il affectionnait particulièrement ce mot - l’immensité du travail d’écriture derrière une oeuvre. Et qu’écrire pouvait être, au-delà d’une passion, un métier. Quelle révélation !
Son regard enjoué, sa voix claire, ses paroles toujours douces et bienveillantes vont terriblement me manquer. Au fil du temps, j’ai mesuré l’importance de cette rencontre, la chance que j’avais eu d’apprendre le métier grâce à une âme aussi sensible. Quand j’ai décidé de sauter le pas et de me lancer, il m’a jaugé de son œil bleu goguenard. Pas chiche…
Quelques années plus tard, c’était lui le plus fier des deux quand il disait que je l’avais bluffé.
C’était Michel. Simple et généreux, il créait des possibles avec élégance et humilité. Grace à lui, j’ai compris qu’écrire, c’était avant tout explorer l’humain, se passionner pour les tourments des uns, pour les aventures ou les passions des autres. Etre en lien. Qu’il n’y avait pas à choisir entre l’écriture et la vie, mais que les deux s’enrichissaient et se soutenaient.
Merci à lui d’avoir tant apporter à ceux qu’il a croisés. Que ses films continuent d’illuminer les visages des spectateurs, petits et grands."
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Karine Winczura :
"J’ai rencontré Michel Fessler en février 2010 au Conservatoire européen d’écritures audiovisuelles, lors d’un séminaire sur l’adaptation littéraire. Je faisais partie de la toute première promotion du Master Scénario et Écritures Audiovisuelles de Nanterre. Fabien Boully, co-créateur du master, connaissait bien Michel. Il savait que Michel pouvait avoir besoin d’un ou une collaborateur·ice, il nous a tous et toutes présenté·es, je suis la seule à avoir donné un CV à Michel. Quatre mois après, alors que je m’apprêtais à partir en vacances, Michel me rappelait et me proposait de l’accompagner dans une consultation sur « Désert rebelle », un projet de film de Brigitte Roüan. Entre temps, Isabelle Fauvel, chez qui je faisais un stage, m’avait recommandée à lui.
Je ne fais pas du « lâcher de noms » gratuitement. Citer les personnes à l’origine de la rencontre de Michel, c’est une façon de les associer à ces souvenirs joyeux, et ça raconte la trame d’amitiés que Michel tissait autour de lui.
Je ne suis pas partie en vacances cet été-là. J’ai entamé une collaboration avec Michel, qui allait durer 10 ans ; entre 2010 et 2020, j’ai travaillé avec Michel de près ou de loin, un peu ou beaucoup. Ces dix années, ce sont des années de rencontres. Rencontres avec des talents, des caractères, et des projets ambitieux. Plus d’une trentaine de projets de films développés, sans compter les lectures, les traitements, les consultations et les avis en passant. En 2010, j’avais 35 ans, j’habitais entre Paris et les Alpes où je faisais du parapente et où je m’étais aménagée une tanière d’écriture. Michel y est venu passer des vacances studieuses, il y a même fait son baptême de parapente.
Mais la plupart du temps, nous travaillions rue Rougemont, dans le grand salon, à la table ronde, entourés de livres, de DVD et d’oeuvres d’art. J’arrivais avec du chocolat, Michel faisait du café, nous échangions nos nouvelles, et peu à peu, nous parlions du projet en cours. Je prenais des notes, je les mettais en forme, et d’une fois à l’autre, nous rebondissions dessus. L’atmosphère était studieuse, créative, douce. Je peux témoigner que rien n’éloignait Michel de son travail, aucune rebuffade, aucun coup du sort, aucun coup de foudre. Par la fenêtre, la rue nous racontait son histoire. Le mercredi, il y avait des cavalcades de petits pieds au plafond. Michel habitait au premier étage.
De temps en temps, le soir, on se faisait un apéro. Souvent, il y avait des amis de passage, sa famille de coeur, sa mafia lyonnaise. Michel m’avait raconté que quand il habitait encore à Lyon, il avait un répondeur téléphonique à Paris, pour donner le change à ses partenaires professionnels. Chez lui, j’ai rencontré des réalisateurs, des réalisatrices, des acteurs et actrices et des personnes qui ne travaillaient pas dans le cinéma. Michel me présentait comme son assistante – j’ai fait un peu de tout, documentation, traduction, reprise de CV, résumé de livres, premier jet de structure, relectures, remue-méninges… tout était intéressant et instructif.
Au début, Michel gardait les dialogues comme plaisir personnel, puis ça nous est arrivé de faire du ping-pong sur des séquences – je lui relisais notre travail précédent à chaque début de séance. Cela lui importait de se replonger ainsi dans le ton, dans le rythme, dans les personnages. Nous avons travaillé à trois aussi, de nombreuses fois. Avec Brigitte, Charles, Yann, Benoit, Debra, Gilles, Mauro… D’autres fois, j’ai continué seule d’accompagner le ou la réalisateur·ice dans son cheminement.
Entre 2010 et 2020, nous avons eu Michel et moi 2659 conversations gmail. Le tout premier mail concernait une recherche documentaire sur le désert de Tamanrasset et les différents trafics susceptibles d’y prendre place. Puis il y a eu Alexandra David Néel et le Tibet, le Sénégal et Mariama, le secret des miroirs vénitiens, la jeune femme en rouge au Brésil, et tant d’autres projets qui se sont déployés… En travaillant avec Michel, je suis entrée dans un monde d’aventures et de voyages, de passions et de poésie, le monde d’un scénariste déjà multi récompensé.
Le dernier projet sur lequel nous avons travaillé ensemble, c’est « Isabel du Brésil », qu’il avait imaginé avec Carla Esméralda. Nous avons écrit, réécrit, un tas de versions d’ « Isabel do Brazil », passant du long métrage à la série de 52’, puis de nouveau au film. Nous avons eu le soutien du Fond d’aide à l’innovation du CNC. Carla Esmeralda nous a invités au Brésil pour écrire encore, nous avons rencontré Juliana Reis, puis Mauro Mendonça Filho. TV Globo était intéressé. Puis Bolsonaro a été élu. Et ça a été la fin du projet. Isabel du Brésil, c’était l’histoire de l’abolition de l’esclavage au Brésil.
Michel me disait qu’il croyait dans le métissage comme moyen de vivre tous et toutes en paix. Il a grandi en Afrique, il le mentionnait souvent quand il rencontrait un ou une nouvelle partenaire d’écriture. Il disait qu’il avait été à l’école dans la brousse, qu’il avait été le seul blanc parmi les élèves. Et il rajoutait immanquablement « et je n’étais pas le premier de la classe. »
Michel et moi, nous avons passé beaucoup de temps à travailler ensemble, j’ai appris de lui la pensée divergente, l’efficacité alliée à la poésie. Nous avons partagé des tortellinis à l’huile d’olive, des bouteilles de vin blanc, des discussions, des confidences, des émotions, la sortie du « Portrait Interdit » de Charles de Meaux…
Michel m’a fait découvrir « Afro-Blue » par Abbey Lincoln, la musique minimaliste, Kenji Mizoguchi, Cy Twombly… sans jamais me donner de leçons, simplement parce que c’est ce qu’il aimait et qu’il le partageait. C’est à ce trait de caractère que je dois d’avoir aussi rencontré les très proches de Michel, Kim, Dominique, Frédo, Jean-Baptiste, Alice, pour ne nommer qu’elleux, et bien sûr, la belle Catherine, et Lili, la petite chienne Cavalier King Charles qui ne le quittait plus !
J’ai beaucoup d’affection pour Michel. Il y avait une différence d’âge, une différence de statut, une différence de genre. Mais nous avons beaucoup voyagé ensemble d’histoires en récits. C’était un véritable compagnonnage. Au final, Michel m’a tout naturellement recommandée à Danièle d’Antoni, son agente, et au producteur de Special Touch Studios, Sébastien Onomo, qui l’avait sollicité. Ainsi ai-je pris mon envol, sans parapente.
Michel s’est marié avec Catherine. Je suis partie retaper une maison en Normandie avec JB. Nous nous sommes moins vus. Le vendredi 11 avril dernier, le soir, Michel m’a appelée. J’étais à la veille de tourner mon premier court métrage intitulé In Articulo Mortis… J’ai pensé que j’allais profiter de son appel pour lui souhaiter un bon anniversaire avec du retard, il venait de fêter ses 70 printemps en mars. Mais c’est lui qui m’annonçait le diagnostic de cancer qui venait de lui tomber dessus.
La dernière fois que j’ai vu Michel, mon calendrier dit que c’était le 21 décembre 2023. C’était il y a bien trop longtemps. On pensait avoir le temps… La dernière fois que je lui ai parlé, c’était le 19 mai 2025, il venait d’apprendre que la thérapie mise en place ne fonctionnait pas, qu’il fallait en changer. Il m’a dit qu’il était fatigué, et préoccupé de sa santé, que ça le rendait indisponible. Il m’a parlé aussi de ses projets. Ceux qu’il venait d’achever. Ceux qui l’attendaient quand ça irait mieux. Et puis il m’a dit qu’il était fier de moi.
Le 12 septembre 2010, j’écrivais à Jacques Martineau, auteur-réalisateur et futur co-directeur du MSEA : « je me forme auprès de Michel Fessler. C'est un homme délicieux, très ouvert sur le monde. J'ai de la chance! » Nos 10 années de compagnonnage ont conforté cette première impression. Je ne crois pas avoir dit à Michel l’affection que je lui portais. Ce texte est une façon d’en laisser une trace.
20 août 2025"