Écrire pour le documentaire

Pour le métier de scénariste documentaire, par Violette Garcia et Caroline Pochon (N#8)

Le scénario documentaire, vraiment ?

Lors de ses Journées du Scénario, en 2022, le SCA a ouvert un chantier de réflexion autour de l’écriture documentaire, rappelant que le réel s’écrit [1]. Pourtant… le scénario documentaire est un objet scriptural encore mal identifié. Dans son article resté célèbre, « Le synopsis documentaire, un abri de branchage », publié en 2009 dans la revue Positif et que nous avons la chance de pouvoir partager sur notre site, la cinéaste Laetitia Mikles tente de définir les particularités de cette écriture. 

En 2023, poursuivant la réflexion, le SCA a mené une étude auprès de ses adhérentes et adhérents, afin d’établir un premier panorama des pratiques du documentaire au sein de l’association [2]. Cette étude a montré l’importance de la coécriture en documentaire. Contrairement à une idée reçue, le documentaire est tout autant un espace de coécriture que la fiction : 60% des répondants à notre enquête pratiquent la coécriture documentaire. Mais l’étude a aussi mis en évidence des pratiques problématiques : une part importante de contrats d’auteur au forfait pour des consultants (40%), et trop peu de contrats de cession de droits d’auteur, qui montreraient un engagement sur le long terme de la part des producteurs. Sans parler des montants très faibles de la rémunération de ces consultants au forfait, ni de la disparition, trop souvent, de leur nom au générique des films. Le scénariste documentaire est trop souvent sollicité juste comme un mécanicien de l’écrit, intervenant au coup par coup, et le plus souvent en urgence. Ceci dévoie la notion même d’écriture et la place du scénariste, qui est de penser le film sur le long terme avec la personne qui le réalise - et non de rafistoler en urgence un dossier ! Ces auteurs écriraient donc presque en contrebande, dans un milieu où la coécriture est encore un impensé, aussi bien pour les producteurs que pour les auteurs-réalisateurs avec qui nous collaborons.

Plus grave encore, le fait d’écrire un scénario documentaire est une activité encore mal définie et peu cadrée, que l’on ne sait pas trop nommer. Léa Pernollet, scénariste de films aussi bien documentaires que de fiction, nous explique pourquoi et comment elle tient à se revendiquer scénariste documentaire. Ce métier, il nous importe, au SCA, de contribuer à en définir le cadre, les règles, la rémunération, la visibilité.

Le cinéma documentaire au défi de l’écriture sérielle 

Paradoxalement, face à cette invisibilisation structurelle des auteurs documentaires que nous avons constatée, on entend beaucoup parler d’écriture documentaire aujourd’hui. Et ce, autour de l’engouement récent pour la série documentaire, format qui serait le nouvel Eldorado de l’écriture du réel, en partie grâce au succès du True crime. Les plateformes popularisent ce format feuilletonnant et bientôt, à leur suite, les chaînes de télévision leur emboîtent le pas – réinventant la notion de rendez-vous. Signe des temps, en 2024, la Fémis inaugure une formation professionnelle consacrée à l’écriture de série documentaire [3], tandis que le CNC crée une nouvelle aide spécifique lui étant consacrée [4]. Olivier Daunizeau, scénariste documentaire et responsable de cette formation professionnelle à la Fémis, nous éclaire sur ces nouvelles orientations publiques et leurs conséquences attendues.

Assiste-t-on enfin à la mise en lumière d’un métier en devenir et doit-on s’en réjouir ? Ou devons-nous craindre, au contraire, le dévoiement des pratiques et une standardisation du métier par un format popularisé par les plateformes ? Ne fait-on appel aux scénaristes dits de fiction uniquement pour dramatiser un sujet documentaire sériel (c’est-à-dire y injecter cliffhangers et autres retournements de situation), ou ces évolutions contribuent-elles bien à forger une écriture propre au documentaire ? En d’autres termes, le succès des séries est-il positif pour le métier de scénariste documentaire, ou bien au contraire, invisibilise-t-on d’autant les scénaristes qui se consacrent au documentaire autrement ? La rencontre avec un duo de scénaristes, Pierre Chosson et Hedi Sassi, récemment sollicités pour l’écriture d’une série documentaire, nous permet de mieux connaître ces pratiques et de mesurer cet impact.

Le balbutiement d’un cadre pour le métier de scénariste documentaire ?

En 2022, sous l’égide de la SCAM, un accord interprofessionnel a acté un montant minimum de rémunération des auteurs présentant un dossier d’unitaire documentaire à des producteurs de télévision [5]. C’est un premier pas, timide encore pour certains, mais que nous louons malgré tout, vers un encadrement de la rémunération des auteurs documentaires et une reconnaissance de leur statut, du moins de l’importance du travail du développement et de l’écriture documentaire.

En tout cas, il semble que ce soit par l’audiovisuel que le scénariste documentaire vienne à la lumière. Qu’en est-il alors de celles et ceux qui écrivent pour le cinéma, comme la plupart des auteurs du SCA ? Les scénaristes de documentaires dits de création (manière de désigner les films documentaires qui sont projetés en festival ou pour les heureux élus, en salles) disparaissent encore des radars à double titre. Concernant l’encadrement de leur rémunération : contrairement aux scénaristes de fiction cinéma pour lesquels un projet d’accord interprofessionnel visant à instaurer un montant plancher de rémunération est actuellement en négociation (entre les organisations d’auteurs, dont le SCA, et celles de producteurs, sous l’égide du CNC), aucun projet d’encadrement de la rémunération des scénaristes de documentaires écrivant pour le cinéma n’est prévu. Ils et elles se trouvent également hors du champ des accords audiovisuels de 2022. Rappelons qu'en 2023 ce sont 40 films de cinéma documentaire (54 en 2022), qui sont sortis en salle, auxquels il faut ajouter les projets qui sont développés sans aboutir. Il sera intéressant de les encadrer.

Quel territoire se dessine alors aujourd’hui pour l’écriture et la coécriture de films documentaires, hors séries et unitaires télévisuels et hormis le cas particulier de l’auteur-réalisateur écrivant seul ? Comment donc, consolider le métier de scénariste documentaire ? Un nouveau chantier à l’horizon se profile, notamment pour le SCA : un état des lieux plus exhaustif reste à faire concernant les contrats et les montants de rémunération pratiqués, pour ouvrir les discussions avec nos partenaires professionnels, en premier lieu les producteurs, et tenter de travailler à établir un accord interprofessionnel pour encadrer la rémunération et la reconnaissance des scénaristes de films documentaires.

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[1] Journées du scénario, table ronde du 7 décembre 2022 : « Un documentaire doit-il s’écrire pour se tourner ou se tourner pour s’écrire ? », conçue par Caroline Pochon et Violette Garcia, animée par Caroline Pochon. Invitées : Laetitia Mikles (autrice-réalisatrice), Sophie Salbot (productrice), Eve Taillez (consultante) et Fabienne Hanclot (CNC)

[2] Synthèse de l’étude

[3] Femis : Écrire une série documentaire

[4] Aides au documentaire au CNC

[5] SCAM : Les organisations d'auteurs et de producteurs s'engagent sur une rémunération minimale pour l'écriture documentaire

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