« C’est un combat très conquérant, une vraie compétition » nous a dit Emmanuel Macron lors de la présentation de son plan "France 2030", en évoquant une guerre contre les images issues des productions cinématographiques et audiovisuelles étrangères. Une guerre qu’il s’agirait bien entendu pour la France de gagner. La vision du SCA ne pourrait être plus éloignée de celle-là. Comment imaginer que les cinématographies du monde entier s’opposent, comment ne pas voir qu’elles forment au contraire un seul et même continent ?
De communiqué en communiqué, les organisations d’auteur.trice.s se répètent, mais ne semblent pas être entendues. A chaque fois, nous rappelons que la diversité de notre création permet à toute une constellation d’auteur.trice.s de créer. Non seulement chez nous, mais aussi au-delà de nos frontières. Grâce à la force de notre système de financement – un système aujourd’hui de plus en plus fragilisé–, nous permettons à des auteur.trice.s du monde entier de développer leurs œuvres. Des œuvres qui nous enrichissent toutes et tous et qui, dans un dialogue continu, permettent et permettront à de nouveaux récits d’émerger. Etrange idée que de lorgner du côté des succès du box-office américain en pensant que nous pourrions concurrencer les films Disney ou Netflix : nous n’en avons pas les moyens financiers et nous ne devrions probablement pas en avoir la velléité artistique.Nos cinéphilies sont multiples. Nous avons grandi avec des films bengali, chinois, japonais, américains, argentins, égyptiens, allemands, italiens, suédois ou français... Nous sommes partout chez nous quand il s’agit de cinéma. Nous parlons la même langue. Celle des images et des sons. Nous n’ignorons pas que le cinéma est une industrie, mais nous affirmons qu’il est d’abord un art. La France a toujours protégé la création et la diversité. C’est dans sa culture, dans son héritage historique, alors ne changeons pas notre fusil d’épaule en espérant que des blockbusters français, dont les très éventuels succès à l’étranger inonderaient le secteur d’argent, parviendraient à eux seuls à défendre le cinéma d’auteur. Il suffit de regarder du côté des Etats-Unis pour se rendre compte que c’est l’inverse qui s’est passé et que de nombreux cinéastes peinent à faire exister leurs films sur les écrans face aux mastodontes des studios.
« Nous sommes en train de manquer de techniciens, de scénaristes, de professionnels, dans tous les secteurs de la création. Nous devons avoir une stratégie de formation de déploiement de ces métiers » a aussi affirmé Emmanuel Macron. Ah bon ? Qui a fait ce constat ? Sur la base de quelle étude ? Nous aimerions bien avoir les chiffres qui lui permettent de faire une telle conclusion. Nous nous tenons d’ailleurs à la disposition du cabinet du Président pour lui fournir la liste de nos adhérent.e.s, dans le cas où il lui viendrait l’envie de chercher des noms de scénaristes compétent.e.s. Nos ami.e.s technicien.e.s partagent très probablement aussi notre constat en ce qui les concerne.
D’un chien qu’on veut noyer, on dit qu’il a la rage. Ainsi, ceux qui souhaitent à tout prix créer de nouvelles écoles, se convainquent que c’est pour combler un manque de scénaristes. La vraie question n’est cependant pas le manque de talent, mais la concentration toujours plus grande des projets autour d’un petit nombre d’entre eux, l’insertion professionnelle compliquée des jeunes scénaristes, ainsi que la précarité, la faiblesse de notre statut social, l’absence d’encadrement de nos rémunérations (parfois très basses, hélas) et le défaut de reconnaissance de notre travail, dossiers sur lesquels le SCA travaille quotidiennement, avec d’ailleurs le CNC et le Ministère de la Culture.Créer de nouvelles écoles serait non seulement un coûteux pis-aller, mais surtout un arbre cachant la forêt du manque de vision culturelle d’un gouvernement qui s’est détourné du cinéma. Pourtant, plus la diversité sera protégée, plus des films singuliers permettront de faire émerger de nouvelles voix qui pourront ensuite nourrir les imaginaires collectifs du monde entier.
Nous cédons volontiers au lyrisme car on finit toujours par s’emporter quand on défend ce qu’on aime. Au SCA, nous aimons le cinéma, la diversité, la création. Nous aimons nos œuvres, mais nous aimons aussi celles venues des quatre coins du monde. Nous ne créons pas de hiérarchie entre les cinéphilies et nous ne souhaitons pas le faire. C’est parce que le cinéma est multiple qu’il est beau. C’est parce qu’il vient de partout et qu’il parle à tout le monde qu’il est grand. Nous ne souhaitons pas être ligués les uns contre les autres dans une compétition stérile, visant uniquement à promouvoir des projets économiques aux débouchés pour le moins incertains.
L’absence de concertation qui est devenue la norme depuis le début du quinquennat ne nous laisse que peu d’espoirs sur le fait que nous soyons entendu.e.s. Mais c’est aussi ça le cinéma. Un geste vain qui n’a d’autre utilité que celle d’exister.
« Il y a quinze ans encore, ce qui est très récent, le terme de "contenu" n’était entendu que lorsque les gens discutaient du cinéma de façon sérieuse, en comparaison avec la "forme". Puis, petit à petit, il a été de plus en plus utilisé par les personnes qui se sont emparées des entreprises médiatiques, dont la plupart ne connaissent rien de l’histoire de l’art, ou même ne s’en soucient pas »
(Martin Scorsese, extrait d’une interview pour Harper’s magazine)