Édito

Quel feu voulons-nous ?, par Cyril Brody (N#10)

Quel feu voulons-nous ?
(lettre à de jeunes réalisateur·trices en quête de scénaristes)

« Comment reconnaître le scénariste qui me redonnera la flamme de mon film ? » À peu de choses près, telle est la question posée au printemps à une membre du Conseil du SCA, qui présentait à la fois son métier et notre association, à des étudiants, en l’occurrence un jeune étudiant en réalisation fort sincèrement inquiet à l’idée de perdre son propre feu – ce qui reconnaissons-le se comprend sans peine… Nous savons que le parcours d’une écriture est long et peut subir certains vents qui loin d’attiser ses braises ont effectivement de grandes chances de les étouffer.

Mais quand même, de quelle flamme parle-t-on ? Quelle attente dans ce don tant espéré et dont l’absence semble si redoutée ? Nos oreilles inquiètes – mais habituées – doivent-elles y entendre un appel au dévouement ? Et s’il y avait plus à vivre à se chercher dans l’obscurité du projet, pour s’y rejoindre, circuler et trouver ensemble quel feu nous voulons ?

Après des années de présence et coprésidence au sein du conseil du SCA, j’ai décidé de reprendre une part de mon temps. Ce qui peut aussi s’entendre par : transmettre le feu. Ce feu reçu des 23 scénaristes de cinéma réunis un soir de février 2017 où ils avaient jeté les bases d’un nouveau foyer où faire monter leur représentation professionnelle, en créant notre association. 8 ans et 280 adhérent·es plus tard, le SCA a su conforter cette place, évoluer et travailler en concertation et en proposition constante avec toutes les organisations professionnelles et les institutions, de la Sécurité Sociale des Artistes Auteurs, au BLOC, l’AMAPA, en passant par le CNC, la SACD, le Ministère de la Culture, celui des Affaires sociales etc.

Il reste à faire : le chantier des négociations d’encadrement de l’écriture, lancé en 2019 à l’initiative du SCA, n’a pas encore abouti à l’heure où j’écris. Nous nous mobilisons encore, dans la dernière ligne droite pour que cet accord apporte le meilleur appui aux auteurs (aucune règle n’encadre la rémunération de l’écriture actuellement, rappelons-le) et qu’il favorise la coécriture. Le SCA l’a souvent dit[1], c’est la passion de coécrire qui nous porte, et nous nous inquiétons que le recours à la consultation ne devienne une alternative dont l’apport est bien différent pour le scénario.

À l’étudiant en quête de partenaire, on voudrait souffler : choisis la ou le scénariste qui partagera le goût, le risque et la charge avec toi, le partage de la création et des droits, plutôt que le diagnostic qui peut te laisser seul et sans réponse. Comme on fait son feu, on (se) brûle.

Reconnaitre le feu

On se révoltait début septembre de constater dans les dépêches de l’AFP l’absence de Gilles Marchand aux crédits du Prix du scénario attribué à Venise à lui-même et Valérie Donzelli, pour À pied d’œuvre, adapté du livre de Franck Courtès. Cela nous faisait mal aux yeux et pour lui, pour eux trois, de voir cette formule : « Prix du scénario pour le film de » plutôt que pour ses auteurs. Comment se résigner à des formules qui effacent en toute innocence, quand elles imaginent louer pleinement ? Le SCA l’a rappelé publiquement, certains se sont amendés, d’autres moins, on a l’habitude depuis le temps, mais on continuera.

Cet oubli malheureux a ravivé une question brûlante : que couronne un prix de scénario quand il concerne un film achevé ?

Accordons-nous sur le fait qu’un prix de scénario consacre ce qui se perçoit du travail des scénaristes dans le film fini, dont aucun membre du jury n’a lu le scénario !

Que perçoit-on du scénario dans le film ? L'histoire ou les personnages, certes, mais aussi des axes de traitement, des choix, des ellipses, des développements, des dialogues comme des silences ou des paysages, des séquences écrites non montées, des pistes abandonnées, des impasses dont on est sortis indemnes, plus riches aussi, après les avoir investiguées, des séquences élaborées à l'écrit qui portaient des images, qui ont cherché leur forme au tournage puis au montage, pour les porter et s'y dissoudre – tout ça bien entendu sans que le travail des scénaristes ne disparaisse.

On ne sait jamais si on voit bien dans un film son scénario, et je pense pouvoir dire qu’au SCA cette question ne nous a jamais dérangés, au contraire – dans la mesure où on n’évapore pas ses auteurs, et leurs noms au premier chef.

Maintenir le feu

Au moment de m’éloigner de ce Conseil du SCA si précieux, et sans douter de ceux qui continueront à l’animer, se pose immanquablement en moi la question de la suite. Comment stimuler ? Comment mobiliser, aussi. Plus une association grandit, plus elle a d’enjeux, de dossiers, de terrains d’intervention, plus elle a besoin de bras, de têtes, mais plus elle semble aussi tourner par elle-même. Ce qui est toujours loin de sa réalité. Relativisons quand même : quiconque a été élu.e d’une association sait que le renouvellement est une question annuelle, récurrente et stimulante. Au rythme du vivant.

Revient pourtant la lecture d’une enquête dirigée par le sociologue Christian Baudelot et le statisticien Michel Gollac, au titre évocateur : Travailler pour être heureux ? (Ed. Fayard 2003). Un riche travail d’observations et d’analyses dont les constats n’ont rien perdu dans l’intervalle, aiguisés par l’avènement de l’ubérisation. « Scénaristes, sommes-nous heureux ? » se demande-t-on en écho. La récente étude de la SACD[2], et celle du SCA sur les VMSS[3] nous en donnaient quelques indices : ça va moyen !

Un des chapitres de ce livre étudiait en particulier les habitants d’une ville industrielle ayant perdu pour la plupart leur travail à la fermeture des usines. Dans l’année suivante, toutes les associations, quel que soit leur objet, y compris sportives, avaient périclité. Le temps rendu libre par la force des choses, le besoin pourtant accru de solidarité, celui d’activer des échanges perdus avec le lieu de travail, tout cela n’avait rien pu y faire auprès de leurs adhérents. Plus assez solides face à la perte de sens social, elles s’étaient dissoutes, en même temps que disparaissaient les emplois.

Il est possible que ce risque nous guette dans les années qui viennent. À coups d’ "intelligence" artificielle, de pressions continues sur la liberté de création, de production et de diffusion de nos films. Le risque que nos difficultés de travail et celles de notre secteur, des productions indépendantes en particulier, ne concourent à nous isoler, à nous replier paradoxalement quand c’est justement de réunions, de réflexions et d’actions communes dont nous avons besoin. Tout ce que le SCA active.

À qui profiterait le repli ?

                   

Au jeune étudiant et à ses collègues, en réalisation comme en production, on voudrait enfin s’employer à dire : faites-vous confiance, ne vous mettez pas toute la pression sur les épaules, ne regardez pas vos camarades scénaristes comme des techniciens froids, secrétaires, psys ou coaches, ils vous seront bien plus utiles en créateurs. Pas "au service de", mais artisans, silex à leur endroit, avec leurs talents, porteuses et porteurs d’étincelles, plutôt que petits bois ou bûches sèches à consumer dans l’âtre du film. À l’épreuve du travail vous découvrirez que les scénaristes ne sont pas interchangeables (si si). Chacun.e a son style, sa personnalité, sa touche et son œuvre. C’est probablement cette part unique à laquelle il vous faut faire confiance, comme à leur capacité d’engagement dans le projet, et, plus que jamais, à ce qu’il ou elle a d’imprévisible et d’humain.

Cyril Brody, coprésident du SCA de 2021 à 2025

[1] https://scenaristesdecinemaassocies.fr/profession-scenariste/edito/pour-la-coecriture-par-cyril-brody-n-4

[2] https://www.sacd.fr/fr/letude-sur-les-conditions-de-travail-des-scenaristes-presentee-la-rochelle

[3] https://scenaristesdecinemaassocies.fr/profession-scenariste/actualites/enquete-vmss

On se réfèrera aussi au très utile « Guide des bonnes pratiques entre réalisateur.trices et scénaristes » coécrit par des membres du SCA et la SRF – à télécharger sur notre site https://scenaristesdecinemaassocies.fr/ressources/guide-sca-srf-sur-la-coecriture/guide-des-bonnes-pratiques-entre-realisateur-trice-s-et-scenaristes-sca-srf

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