Interview de scénariste

Vivre les salles de cinéma !

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Des scénaristes du SCA racontent leur expérience de la salle de cinéma.


La salle de M. Chopin
Nemours

J’ai grandi à Nemours. 12.000 habitants, un pont au milieu. Et un cinéma. Enfin, une salle, dont j’ai oublié le nom. M. Chopin en était le seul et unique propriétaire, projectionniste, homme à tout faire. Déjà vieux alors que j’étais encore tout jeune, la légende dit qu’il conservait précieusement une photo de Pétain dans son portefeuille… La programmation de M. Chopin était à son image, la nouvelle vague s’était arrêtée à ses portes. Par exemple, je me souviens d'avoir vu Tarzan à New-York avec Johnny Weissmuller, je devais avoir 8 ou 9 ans. Il y a peu, j’ai découvert avec stupeur que ce Tarzan était sorti en 1942. Ça m’a fait comme un trou spatio-temporel. Est-ce que, dans ma tête d’enfant, j’avais clairement conscience que c’était un film déjà très ancien ? Que j’aurais pu voir à la télé ? Peut-être que les Tarzan ne passaient pas à la télé… Qu’importe, le fait de marcher seul jusqu’à cette salle, de bien choisir sa place, le rideau parsemé d'encarts publicitaires de toutes les couleurs pour les commerçants du coin, l’éventuel Kim Cône, le grand écran : à mes yeux, c’était du cinéma. Et puis, un jour de 1977, j’ai vu Diabolo menthe. J'avais onze ans, le film venait de sortir, les premiers émois amoureux des deux soeurs me perçaient le coeur : cette fois tout collait. Plus tard, la salle de M. Chopin a été remplacée par un Codec, qui avait aussi son utilité…

Olivier Gorce, scénariste


Fin des années 80, un samedi soir
Action-Christine, Paris

Une heure de queue sous la pluie devant l’Action-Christine pour espérer voir un Lubitsch,The Shop around the corner ou Cluny Brown, je ne sais plus.
C’est long une heure de queue bien sûr, une heure de queue sous la pluie. 
Mais soudain dans la rue quelqu’un passe devant le cinéma en sifflotant joyeusement
Singing In The Rain. 

Pierre Chosson, scénariste


Le plafond étoilé de la salle
Grand Rex, Paris

Bambi ressort dans les salles en France en avril 1979. L’hiver qui a précédé a été très froid. Il a fait - 11 à Paris. Mes parents sont en train de divorcer. Je ne suis pas bien haute quand nous prenons la longue file d’attente devant le cinéma Le Grand Rex sur les grands boulevards avec ma grand-mère, ma grand-tante et mon grand-oncle. Nous entrons dans l’immense salle de 3300 places. Les réhausseurs pour les enfants n’existent pas encore. Je disparais presque dans les confortables sièges en cuir de l’orchestre. Je ne sais pas que dans cette salle historique Louis Lumière était présent pour la première projection en 1932, ni qu’en 1963 Alfred Hitchcock y a présenté Les Oiseaux. Je ne connais ni Louis Lumière ni Alfred Hitchcock alors.  Je me souviens d’une marée de têtes devant moi. Et quand je tourne la mienne, sur le côté de la salle je remarque les parois colorées construites pour évoquer, là une ville antique, ici une sorte de manoir avec donjon baroque. Où suis-je ? Dans un château ? Dans une forêt ? Sur l’écran, les images de Bambi explosent en feu d’artifice : la blancheur bleutée de la neige, la fourrure mordorée de Pan-Pan… Je peux toucher ? Bien sûr. Je suis sur ce lac gelé avec eux. Ils m’entrainent et je peux glisser moi aussi. Mais bientôt, des coups de feu, des cris, la mort. Et là-haut, sur le plafond de la salle, des milliers d’étoiles… Il y a même des nuages qui passent. Comment est-ce possible ? Toute cette beauté et cette douleur à la fois. Puis c’est le printemps. Bambi a grandi, je le trouvais plus mignon petit mais quand même, il est fort maintenant, la tristesse semble passée, la vie frémit.

Maud Ameline, scénariste


Rocky et moi
Salle disparue de Nimes

Jusqu’à l’âge de 12 ou 13 ans, c’est mon père qui m’emmenait toujours au cinéma. Un jour, j’étais probablement en 4ème, je me suis retrouvée à la sortie du collège, désœuvrée, en tout début d'après-midi. C’était pourtant un jour de semaine comme les autres. Sauf que, ce jour-là, pour une raison que j’ai oubliée depuis, je n’avais rien à faire. Aucun cours, ni aucune activité particulière. Personne ne m’attendait chez moi. 
Il faisait beau, un grand ciel bleu immaculé comme je n'en ai connu que là-bas. Au lieu de prendre le bus, j’ai remonté à pied le boulevard Amiral Courbet. À l’angle d’une rue, j’ai vu l’affiche de
Rocky. La première séance était à 15h.
J’ai payé ma place, trois francs, et je suis entrée.
La salle était quasi vide, en dehors de deux trois clients isolés, comme moi.
Je me suis assise tout au fond, sur le côté. L'écran était recouvert d’une grande toile peinte vantant les mérites des commerçants du quartier. Ça sentait le renfermé. Les ressorts des fauteuils grinçaient.
J’étais vaguement troublée d’avoir choisi ce film-là, un film si différent de ceux que je voyais d’habitude avec mon père. Mon père n’aurait certainement pas choisi
Rocky pour une séance de cinéma avec moi. Encore une daube américaine, toute en muscles et pauvre en cervelle. Un film de droite, sans aucun doute. Mais, dès que le film a commencé, je me suis sentie incroyablement bien, incroyablement libre, seule dans cette salle de cinéma, sans mon père ni personne à côté de moi. Tout à coup j’ai compris qu’il y aurait une vie après l’adolescence, après le collège, après tout ça.

Un an après, le Sémaphore a ouvert à deux pas du lycée. Le Sémaphore a changé ma vie. 
Le Sémaphore est le seul cinéma de Nîmes à avoir survécu jusqu'à aujourd'hui aux multiplexes de la périphérie. Parce qu'à cette époque, je m’en souviens, il y avait au moins 5 ou 6 cinémas dans le centre-ville : le Vox, le Majestic, le Corona, l’Odéon… Je me rappelle encore tous les noms des cinémas disparus de Nîmes, sauf celui du cinéma où j’ai découvert seule, à la première séance de la journée, l'épopée de Rocky Balboa.

Anne Villacèque, scénariste et réalisatrice


Thérèse
Les 400 coups, Angers

A mon arrivée en 6ème, le jour de la rentrée, une fille tout juste débarquée d’Auxerre avait fermement décidé de faire de moi sa meilleure amie. Elle avait de grosses lunettes en cul de bouteille et me fichait un peu la honte, mais peu à peu sa détermination joyeuse à l’amitié eut raison de mes réticences. Chez elle, très étonnement il n’y avait pas la télé, ce qui était rare à l’époque. Ses parents avaient donc l’habitude d’aller régulièrement au cinéma, presque toutes les semaines. Sa mère, une catholique à la pratique discrète, nous emmène un soir voir Thérèse d’Alain Cavalier. Elle s’attendait très certainement à une ode à la religion, espérant secrètement m’aiguiller sur le chemin de la foi. En matière d’épiphanie la mienne fut toute autre. La mère de mon amie sortit révoltée de la salle de cinéma.
Le visage de Catherine Mouchet, la mise en scène inhabituelle et ascétique, la liberté transgressive et charnelle de Cavalier… J’étais définitivement éblouie, et Dieu n’y était pour rien .

Vanessa Lépinard, scénariste


La fille de
Utopia, Avignon

J’ai 8 ans et ma grand-mère m’amène au cinéma. J’ai déjà vu plusieurs dessin-animés mais c’est mon premier « film de grand ». On y va toutes les deux, sans mon frère et mes cousins-cousines. J’ai l’impression de vivre un moment privilégié, rien qu’à nous deux, j’ai l’impression d’être déjà une adulte alors que je suis la plus petite de la famille. Mes pieds ne touchent plus terre. J’aime déjà le film avant qu’il ne commence.
On s’installe dans la salle 1 du cinéma Utopia, à Avignon, au pied du Palais des Papes. Les fauteuils sont en velours rouge, et au fond de la salle, il y un vieux puit, vestige d’un passé moyenâgeux. 
Le noir se fait dans la salle et les premières notes du générique commencent. Un cheval court dans une forêt. Des hommes se battent en duel à l’épée, certains meurent. C’est la première fois que je vois des gens mourir à l’écran. J’ai peur. Je me blottis contre ma grand-mère. Arrive l’héroïne, Sophie Marceau, la fille de d’Artagnan. Elle a un aplomb et une classe folle dans sa chemise de mousquetaire. Le film file en une minute et déjà la lumière se rallume. Mon coeur résonne dans ma poitrine et j’ai du mal à revenir à la réalité. Il faut pourtant rentrer à la maison. 
Quand le soir, à table, on me demande si le film m’a plu, je mens. Je prends un air détaché : « ouais, sans plus, c’était pas trop mal. » J’ai peur de dire que j’ai adoré 
La fille de d’Artagnan, j’ai peur de me mettre à rougir et que tout le monde comprenne alors la vérité : je suis tombée définitivement amoureuse de Sophie Marceau.

Marion Desseigne-Ravel, scénariste et réalisatrice


Jour de fête
Multiciné Pathé, Champigny-sur-Marne

Mars 1984. J’ai douze ans. Je suis en cinquième dans la classe « hockey », une classe expérimentale de mon CES de banlieue. On est juste six filles, hyper soudées, au milieux d’une vingtaine de garçons. A l’époque on ne fêtait pas Halloween et on se déguisait le jour de mardi gras pour aller au collège. Je me souviens, j’étais déguisée en Charlie Chaplin. Après les cours, très joyeux et peu studieux en ce jour de fête, avec « l’équipe de filles » et quelques garçons de la classe triés sur le volet, on décide d’aller au cinéma à Champigny. Pour moi c’est une première d’y aller avec des amis, sans mes parents, sans mes frères, comme une grande. On est tous surexcités. Quand le directeur du cinéma nous voit arriver, chahutant dans nos déguisements déglingués, il nous met en garde : pas de bordel dans la salle, sinon dehors. On va voir Rusty James. Pas vraiment un choix, c’est le seul film qui passe à cette heure là. On sait juste que c’est un film américain. Les spectateurs déjà installés nous voient arriver d’un mauvais œil. On se met tout au fond, c’est mieux pour se marrer. Et aussi pour draguer. Car certaines filles ont des vues sur certains garçons. Installation hautement stratégique. Qui se met à côté de qui ? Ça négocie ferme. Je me retrouve tout au bout de la rangée. Je m’en fiche, aucun garçon ne m’intéresse. La lumière s’éteint. On rigole comme des baleines. Des « chuts ! » et des « taisez-vous ! » fusent. On rigole de plus belle. Le film commence. C’est en noir et blanc. On ne s’attendait pas à ça. Grosse déception. Mais bon, le film, on s’en fout un peu de toute façon. Le premier quart d’heure est assez mouvementé. On est à deux doigts de se faire virer. Puis peu à peu on se calme, quelque chose se passe. Les yeux rivés sur l’écran, plus personne ne parle. On est tous happés par le film. Quand on est sortis de la salle, on était KO. Ce jour là, j'ai découvert Coppola. 

Myriam Aziza, scénariste et réalisatrice


Je me souviens
La Pagode, Studio Galande, Max Linder, Wepler, Paris

à la Pagode, devant Thérèse d'Alain Cavalier, ce film catho m'étais insupportable en pleine crise d'ado, j'ai foutu la merde avec un copain, on ricanait au troisieme rang. Et même avec l'école, Perceval le gallois, j'étais alors loin d'être une cinéphile, ahah. 
Je me rappelle l'excitation pour les Almodovar, le rendez-vous fidele avec les Woody Allen.
Do the right thing.
Mon amie A. m'annonçant dans la queue à l'action Christine " je n'aime plus les films de Fassbinder". 
P. et
Paris Texas
J.L.T me faisant découvrir les Cassavetes au Racine. Le
Rocky horror picture show au Studio Galande ou toute la salle connaissait le film par coeur. 
Les Champs Elysées et la guitare rock de
Pulp fiction qui avait électrisé la salle. 
Les cris des fans de
Drive au festival de Cannes. 
Mon émotion puissante et intime quand j'ai vu
La promesse à Cannes. 
Le choc des premiers Depardon (ma vocation documentaire). 
Head on de Fateh Akin. Les Fassbinder. Le pariscope ou l'officiel.
Tellement de souvenirs dans la salle. 
Tous les films de potes que j'ai vus au forum des images, à Lussas, avec l'impression claire qu'on communiait à une sorte de messe athée.
Les films sur l'inceste que j'ai vus avec M.M, comme
La riviere de Tsai Ming Liang dans un cinema dont j'ai oublie le nom.
Pasolini et FM. 
Accatone avec M. : il me faisait penser à lui. Quartier latin, pas loin à pied.
J.L.T qui n'avait pas aimé
Reservoir dogs. Etudiante à Science-po, ma sortie de la semaine au cinéma avec lui, puis une pizza vers la rue monsieur le prince. 

J'allais oublier :
Terminator qui n'en finissait pas de rescusciter quand B. m'a demande s'il pouvait m'embrasser. 
Taxi driver, seule dans une salle du cinquième, Robert de Niro ressemblait à A. J'avais acheté le disque de la BO. Lenny, idem. 
Une grande salle au Wepler :
Gravity et quand j'ai compris qu'il fallait faire le deuil pour survivre. O. était a cote de moi. 
Tout mon cheminement intime s'est fait dans des salles de cinéma. Tous mes amis étaient de grands cinéphiles. c'était juste une évidence.

Me voir dans
Conseil de famille, dans une belle salle des Champs Elysées, entourée de Johnny Hallyday, Costa Gavras, mes parents. Jack Lang. 

Bardot dans
Et Dieu créa la femme au cinema de plein air de la villette. Prince dans Under the cherry moon à Saint Germain des prés. Shame de Steve McQueen, le soir de noël, chef d'oeuvre inopiné, sauvant ma folie familiale pour 1h30. Répulsion de Polanski au Saint Andre des arts, avec A.
Tellement de films qui m'ont permis de comprendre, de revivre, de grandir, de vivre. Ma peur, seule dans la salle, quand j'ai vu
le silence des agneaux dans une salle de la rue d'Antibes, à Cannes. 
Cris et chuchottements. 
Breaking the waves au Max Linder. 
Les projos du matin à la Fémis : je m'endormais au bout de dix mn. 

L'année des 13 lunes avec mon frère. Elvira... Et tous ces films comme American beauty ou Magnolia qu'il fallait voir quand je bossais à la télé. 
Pinocchio, à six ans, avec ma mère. 
L'homme à la peau de serpent, un samedi après-midi à l'action école, avec A., et notre coup de foudre commun pour Marlon Brando...

Caroline Pochon, scénariste et réalisatrice


Sous les fauteuils
Saint André des Arts, Paris - Femina, Toulon

4 avril 2022, Saint André des Arts, séance de 20h, je m’installe dans la salle avec une amie scénariste. C’est moi qui ai choisi le documentaire pourtant au bout de 15mn, je sens que je n’arrive pas du tout à gérer la tension du film. Je prends toute l’énergie du personnage en pleine figure. Moi qui vois 80 films par an depuis que j’ai 14 ans, moi qui aime tant être dedans, je suis en train de perdre pied. Sensation familière du malaise vagal, mes pieds se dissolvent, mes pensées se démultiplient, ma respiration devient difficile. Il faudrait pouvoir sortir, mais c’est risquer de m’évanouir dans la travée et interrompre la projection. La rangée à côté de moi est vide, je murmure à mon amie : « t’inquiète pas, je vais m’allonger les pieds en l’air sinon je vais me sentir mal ! » Elle n’a que le temps de me voir m’allonger sur la moquette et poser mes pieds sur ses genoux. Je ne peux pas lui dire qu’en plus du film je suis très stressé depuis plusieurs semaines, inquiet de la guerre en Ukraine, de la campagne électorale, de la vie, bref : tout. 

Une fois couché je sais qu’au moins il ne m’arrivera rien. Le sang remonte de mes pieds à ma tête et calme le jeu. J’entends les voix des personnages, le plafond me renvoie leurs reflets colorés. J’imagine les plans – mais mieux vaut ne pas trop imaginer pour ne pas gamberger. Pas simple. Je regarde autour de moi : un pied de spectateur de la rangée de derrière qui n’a pas vu que j’étais descendu. Il pourrait me prendre pour un des pickpockets qui remontent les salles en rampant sous les fauteuils et piochent tranquillement dans les sacs. Je pourrais aussi bien me retrouver nez à nez avec l’un d’eux. Il y a un monde ici, en plus de tout ce qui tombe tout seul de nos poches. Au-dessus de moi, dans le film en cours, c’est pas facile pour eux aussi : ça crie, ça casse. J’essaie de respirer, de faire le vide. Et je pense à ma mère qui jeune femme s’est évanouie en pleine course de char dans 
Ben-Hur. Elle ne supporte pas le cinéma, elle est trop dedans, ou alors seulement des dessins animés, et encore. Et si ça m’arrivait à mon tour ? Comment pourrai-je vivre si je ne peux plus supporter de voir un film un peu trop intense ? Je dois penser à autre chose… Je cherche les films que j’ai vus dans cette salle 3 du Saint André des arts. Des Bergman par cycle l’été, La Promesse des Dardennes, la Vie de Jésus de Dumont, des Alain Cavalier et des dizaines d’autres depuis la Sorbonne. Mon amie se penche régulièrement, je fais signe que ça va mais je ne remonte pas. Au fond je suis plutôt bien comme ça. La salle de cinéma, c’est mon endroit, même flippé. Et je ne sors jamais pendant un film même si je le regrette parfois.

La première fois que je m’y suis senti chez moi, c’était pour la fête du cinéma 1986, au Femina de Toulon, avec ces 9 salles de plus en plus petites. La fête du cinéma à l’époque c’était 1 franc la séance supplémentaire, la cohue garantie pour accéder à la caisse et le forcing devant la porte de la salle. On se souciait peu d’être compressés : on voulait notre place et voir le plus de films possible ! J’avais 13 ans et, contre l’interdiction parentale de nous séparer, j’avais largué ma sœur et ses copains qui visaient 
Police Academy 3, pour aller voir 37°2 le matin. Quand l’ouvreur a libéré l’accès, j’ai fait une véritable course de haies au dessus des rangées pour être le premier au fauteuil central du dernier rang. A l’époque je trouvais curieusement que c’était la meilleure place. Vu de ma moquette 2022, un peu moins angoissé, je me dis que j’avais peut-être peur de me retrouver au milieu des autres ? D’ailleurs dans l’étuve de la salle bondée, j’ai eu le sentiment que le film ne s’adressait qu’à moi malgré les autres – ce film que ma mère n’aurait évidemment pas supporté. En sortant de la salle une heure et demie plus tard que prévu, j’ai trouvé ma sœur pleurant d’inquiétude (un truc de famille) à l’idée de m’avoir perdu, tandis que j’étais imperméable à son stress tant le film et ses personnages m’avaient renversé. 

Retour sur la moquette. Avec les années, je me suis pas mal rapproché de l’écran. J’ai appris surtout à apprécier la présence des autres dans la salle, le bonheur du rire communicatif et la qualité des silences. Et puis les réactions qui désarçonnent, les imprévus. Et même les punks tellement synchrones, pendant 
Naked de Mike Leigh, qui s’étaient mis à baiser au premier rang devant un Gaumont médusé qui ne s’en était pas plaint pour autant. J’ai pensé à eux, seul par terre au Saint André des Arts. Personne dans la salle n’a su que j’y étais couché une heure et quart mais, magie de la salle, les spectateurs l’ont peut-être un peu éprouvé avec le film, comme moi je les sentais, eux ?

A la fin du film je me suis relevé en douce. Le lendemain de la séance, ma psy (ancienne critique ciné !) m’a conseillé d’aller plutôt voir pendant quelques temps des films au message positif et sans grandes tensions – ces films pour ma mère… J’ai opté pour un film corse plus tendu, calé entre ma sœur et un ami, et une dose de CBD en bonus. J’ai eu quelques montées de stress mais c’est passé. Deux semaines après, j’ai été tout seul voir 
Les passagers de la nuit. Quand je me suis mis à pleurer, avec d’autres frères et sœurs inconnus tout autour de moi, j’ai compris que tout n’était pas perdu, la salle était bien toujours avec moi. Et moi avec elle. Au cinéma les souvenirs les plus marquants ne sont pas seulement ceux des films. Celui que j’ai entendu au Saint André de arts disait : Soy Libre – Je suis libre

Cyril Brody, scénariste et réalisateur


Les salles comme pays natal
Pathé Wepler, Studio 28, MK2 Quai de Seine, Action Ecoles, Champo... Paris

Je préfère les cinémas d’art et essai. Ceux dont on dit qu’ils ont une âme. Leur histoire, leur architecture, les films qu’on y passe et les gens qui les tiennent conviennent mieux à l’image que je me fais du cinéma, comme lieu d’échange, de vie et de culture. Pourtant, dans ma mémoire, mes souvenirs de salle sont occupés à parts égales par les grands groupes (surtout le Pathé Wepler, qui était mon cinéma de quartier), que par les salles d’A&E parisiennes. Il faut croire que ma mémoire ne hiérarchise pas mes souvenirs ou mes plaisirs avec le même élitisme que moi.
Au Wepler, j’ai été pour la première fois au cinéma en cachette (
South Park, le film), j’ai passé ma première séance « caline » à échanger baisers et caresses avec une de mes premières petites copines (21 grammes), j’ai pleuré à chaudes larmes (Titanic), j’ai crié de joie (La trilogie du Seigneur des Anneaux), j’ai hurlé de peur (Urban Legend, pourtant pas si terrifiant)… Autant de souvenirs constitutifs de ma jeunesse et de mon amour des salles.
Dans les A&E, j’ai par contre vécu mes plus beaux moments de cinéma. Que ce soit la trilogie
Welcome in Vienna vue en une fois au MK2 quai de Seine et dont le plan de fin m’accompagnera pour la vie, la ressortie de Lawrence d’Arabie sur le grand large du Grand Rex après le confinement avec son lever de soleil sur le désert plus extraordinaire que tous les levers de soleil du monde, La soif du mal au Studio 28 avec mon père, quand j’étais adolescent, la voix d’Orson Welles à la fin de Citizen Kane à l’Action Ecoles : « I wrote and directed this film. My name is Orson Welles », l’Homme qui voulut être roi ou 2001, l’Odyssée de l’Espace et ses 30 minutes abstraites au Grand Action, Hannah et ses sœurs à la Filmothèque du Quartier Latin, Play Time au Champo… je ne sais que choisir tellement mon esprit déborde de beaux souvenirs de films découverts ou re-découverts en salle.
Que ce soit dans des A&E, sur les écrans tenus par des grands groupes, en France, en Allemagne ou en Angleterre. Devant des bons et des mauvais films. Sur des chaises trop dures, cassées, les jambes repliées, croisées, en chaussures ou en chaussettes. A côté de personnes bruyantes, odorantes, gênantes, ou au contraire à proximité de jolies filles dont je tentais de capter les regards, je me suis toujours senti chez moi dans les salles de cinéma. Quand j’avais le blues à l’étranger, je me suis d’ailleurs systématiquement réfugié au cinéma. C’est un lieu d’échange, de vie, de culture, mais aussi et avant tout un lieu où l’on se sent bien. Un lieu où j’espère pouvoir me réfugier toute ma vie.

Guillaume Fabre-Luce, scénariste et réalisateur


C’est l’année de Terminale,
Utopia, ABC et Cinémathèque de Toulouse

l’année du bac, je devrais me concentrer sur Les Caractères de La Bruyère et la poésie d’Yves Bonnefoy mais je passe un soir sur deux avec mon meilleur ami Willy dans l’un des trois cinémas d’art et essai qui se trouvent à quelques pas de chez nous : l’Utopia, l’ABC et la Cinémathèque de Toulouse. C’est dans cette dernière salle que nous trouvons le plus ce que nous sommes le moins allés chercher. D’un obscur film polonais des années 50 sur le chemin de fer à Règlement de comptes de Fritz Lang, nous nous plions à la programmation, sans porter la lourde responsabilité du choix réservé aux multiples. Un soir d’avril, nous allons voir un film inconnu au bataillon, Naked Blood. Le cycle dans lequel il s’inscrit s’appelle « cinéma extrême » ou quelque chose du genre, il y a peu de monde, des amateurs de raretés gore, le film est déconseillé aux moins de 18 ans, et heureusement car le pitch promet beaucoup : un étudiant en neurosciences trouve le moyen de transformer la douleur en sensation de plaisir. Tout un programme. C’est un film japonais d’une heure à peine, tourné en DV, mal fagoté. Des visages de femmes en extase, doublées avec l’élégance d’un porno, alternent avec des gros plans sur des effets spéciaux à l’efficacité plus psychologique que technique, où l’on voit la masturbatrice se découper un téton à l’aide d’une fourchette et d’un couteau. Nous glapissons d’horreur et d’étonnement, emmagasinant les plans avec cette curiosité étrange qui fait qu’à l’adolescence on est encore plus ou moins insensible à la violence. Le film se termine, nous avons déjà suffisamment de cinéphilie dans les pattes pour savoir que ce n’était pas un chef-d’oeuvre, loin de là, mais pour nous c’est l’équivalent d’un manège de fête foraine et c’est suffisant. Nous rentrons à pied en évoquant les images du film. Parvenus au croisement où nous nous séparons habituellement, nos regards se croisent, nos doigts se rencontrent, nous nous embrassons, nous en avons envie depuis longtemps mais il aura fallu ce film étrange et cathartique pour que cela se réalise. A partir de ce moment-là, la salle de cinéma restera dans mon esprit le lieu d’un paradoxal et obscur lieu du désir. 

Camille Lugan, scénariste et réalisatrice


Il était une fois dans l'est parisien
MK2 Bastille, Ciné Beaubourg - Paris

Août 2022 – MK2 Bastille, côté Faubourg Saint-Antoine. 
J’aime Paris au mois d’août car c’est l’occasion de voir ou de revoir des classiques en salles. Cet été, il n’y pas de rétrospective Ozu, j’ai l’impression qu’un ami cher ne peut pas venir me rejoindre en vacances. Je décide d’aller dans la salle qui l’a accueillie l’année dernière : le MK2 Bastille, côté Faubourg Saint-Antoine. Ce soir, pas de film du répertoire, ce sera 
Ennio. Je traine un peu les pieds - j’aime la musique de Morricone, mais pas beaucoup les westerns. La salle est comble. J’aime Paris au mois d’août. Ennio est un génie, Tornatore fait des miracles, j’ai presque envie d’aller voir un western. Et puis un extrait de 1900 apparait… Et là, je suis submergée par l’émotion, ma vie défile sur l’écran : premiers émois devant Dominique Sanda, premier éveil politique sous un drapeau rouge qu’on déterre… A chaque nouvel extrait, je ressens l’instant où j’ai découvert ces films. Je sors de la salle et la magie continue. Des images de films qui me constituent aujourd’hui s’enchaînent : Fred Astaire dansant avec un porte-manteau au Mac-Mahon et les chocoletti que prenaient mon père ; La chaleur, les couleurs, les cheveux dans le vent des anges déchus au Champo ; mon anniversaire au Grand Rex avec LN devant Les Demoiselles. A la fin de la projection, un Maxence aux cheveux blanc était venu saluer le public, puis Michel Legrand s’était mis au piano et la salle s’était transformée en chorale. Inoubliable ! Je monte sur mon vélo et je suis soudain traversée par une odeur venue du passé, une odeur un peu acre, celle du Ciné Beaubourg, la salle de mon enfance, où je me suis réfugiée presque tous les jours après mon premier chagrin d’amour. C’était le seul endroit où je pouvais pleurer. Je quitte la rue du Faubourg Saint-Antoine et je revois le beau visage de Toshiro Mifune au Louxor avec P, qui découvrait la trilogie Musashi. J’aime Paris au mois d’août. La semaine prochaine, je reverrai ce même visage dans un film de Kurosawa, premier amour de Cinéma, qui m’a ouvert les portes d’un dojo. Mais c’est une autre histoire.

Isabelle Wolgust, scénariste


Tsunami émotionnel
Le Studio, Tours

Julien Farrugia, scénariste et réalisateur


Balles imaginaires
Le Cinématographe, Château Arnoux

Blow-up d’Antonioni au cinéma de Château Arnoux. Séance “forcée” de ciné-club organisée par mon professeur de français, Monsieur Riccio. À la fin de ce film en VO sous-titrée dont je ne comprends rien, je vois les balles imaginaires. Je les vois sur l’écran, fuser en des traînées grises sur le grain vivant de la pellicule. Je les vois, de mes deux yeux, je les vois, bien avant que le son réel ne vienne parfaire la pantomime magistrale d’une partie de tennis. J’ai 11 ans ; je n’ai d’autre culture audiovisuelle que celle du Club Dorothée mais ce jour-là, dans cette salle-là, à cette heure-là, ce film atteint ma rétine  
…avant de pénétrer mon âme et de transformer mon regard pour toujours.

Caroline Ophélie, scénariste


Trois souvenirs de cinéma
L'Olympia, Quartier Latin et Rialto Bananas, Paris

Dernière de ma fratrie, de celles qu’on nomme les ravisées, j’étais confiée le jeudi (puis le mercredi quand ça changea) aux bons soins successifs de mes frère et sœurs. Leurs activités devinrent les miennes. Mes parents n’avaient pas besoin de savoir ce qu’on faisait, c’était entendu et bien ainsi... Un jour de grand soleil, mon frère m’emmena donc au cinéma L’Olympia, à deux pas de chez nous qui m’en paraissaient mille, rejoindre ses amis qui faisaient du rock progressif. Entourée de tous ces jeunes gens, princesse de 6 ans juchée sur leurs sacs et leurs blousons pour atteindre une hauteur raisonnable, une tablette de chocoletti sur l’accoudoir (les bruyants popcorns n’existaient pas encore !), je découvris un drôle de film, où la fiction autorisait ce que la vie semblait interdire – mais pourquoi, en effet, nous imposait-on tant de choses ? Pourquoi avait-on besoin d’argent et de clefs ? Pourquoi un travail ennuyeux ? L’An 01 de Gébé et Jacques Doillon est mon premier souvenir de cinéma. 

Plus tard, j’ai pris l’habitude d’y aller seule.


Un soir de mes 13 ans où il ne faisait pas si beau, un vendredi sans doute car je n’avais pas cours le lendemain, j’ai foncé dans le métro jusqu’au Quartier Latin pour une séance des 
Jeux de la Comtesse Dolingen de Gratz de Catherine Binet. Je ne savais rien du récit ni de son autrice (ou plutôt ses : Unica Zurn aussi), mais le titre était magique. Le film l’était. Il l’est toujours, car dans le bleu de cet été qui éclairait mon automne, la fillette qui n’est pas la Comtesse, plonge à tout jamais dans la piscine de Levallois où j’ai appris à nager, une piscine en bord de Seine qui n’existe plus depuis longtemps.

Tout comme ont disparu Le Rivoli, qui proposait encore dans les années 80 deux films au même programme, l’Olympia de mon enfance (que j’ai naïvement cru être aussi une petite salle de concert), le Rialto Bananas et tant d’autres, avec leurs tarifs réduits en francs…

Une grande part de ma cinéphilie s’est faite grâce à la télévision, du Ciné-Club après Apostrophes au Cinéma de Minuit – est-ce encore possible de devenir cinéphile ainsi ? Je ne sais pas. Je ne suis pas sûre. En tout cas, avant d’avoir le droit de regarder officiellement ces émissions, il m’a fallu attendre longtemps : chez moi, les enfants se couchaient de bonne heure. Mais j’avais tant de mal à m’endormir ! Alors je me glissais silencieusement hors de mon lit en entendant Rachmaninov et je rampais jusque derrière le canapé. Je ne voyais que des débuts de films, craignant d’être découverte (peut-être feignaient-ils ? Je n’ai jamais osé demander). Je n’ai pas pu oublier cette étrange production des années 20, où des soldats coloniaux et des orientaux à turban se retrouvaient projetés dans l’espace et devaient affronter des dinosaures à coup de poêles à frire. J’ai longtemps cherché quel était ce film – au grand oral de la Femis, j’ai même posé la question à mon jury ; si j’étais boulée, au moins aurais-je eu cela. Mais non, personne ne savait. J’ai fini par croire que je l’avais rêvé. Il a fallu que j’attende 2001 (l’autre an 01), une reprise de juillet aux Ursulines, pour découvrir que le film, au virage sépia joliment trompeur, était La Comète de Karel Zeman. J’ai pleuré de joie. Ce rêve existait bien.

C’est seulement dans les salles obscures que je retrouve l’été infini de mon enfance, ce qui a disparu, ce qui pourrait encore advenir, les souvenirs et les possibles. Comment vivre sans ?


Nadine Lamari, scénariste


Un voyage halluciné à la Cinémathèque française
Paris

J’ai tellement attendu de découvrir ce film en salle de cinéma.
Vingt-cinq ans. 
C’était la salle de cinéma, pour le vivre. Et rien d’autre.
J’attendais de vivre ce film en communion, avec les autres, pour sentir les émotions collectives, qui plonge dans l’histoire immémoriale de l’Humanité et ouvre sur la réflexion du divin, et de la spiritualité.
2001, l’Odyssée de l’espace. Stanley Kubrick.

C’est, à ce jour, mon plus grand choc esthétique, vécu dans la grande salle Henri Langlois de la Cinémathèque française.
Souvenir extraordinaire. 
Printemps 2019.
La salle était comble, toutes générations confondues. Les billets étaient partis en préventes en 3 jours. 
Il régnait un silence dense, dès les premières minutes de notre entrée dans la salle. 
L’impression la plus forte était celle d’une entrée en ‘religion’ dans la promesse d’un voyage unique, voyage que m’avaient évoqué tant d’amis, les yeux hallucinés.

Dès les premières images, l’envoûtement gagne toute la salle.
Silence plein de vibrations communes, d’émotions échangées. Nous étions tous comme métamorphosés en une seule ‘unité’, nous ne faisions plus qu’un. Tels des voyageurs de nos propres vies, face au miroir que nous tendait Stanley Kubrick. Un voyage halluciné.
Seule, la salle de cinéma, pour moi, peut nous faire vivre une telle expérience explosive et profonde.
2001 a révolutionné la science-fiction, l'a enrichi par son aspect unique, a également changé notre façon de penser l'univers. Personne n'avait représenté l'espace infini comme l'a fait Kubrick. Le soleil éclatant, les reflets de la planète bleue, le silence infini qui domine le film et qui entoure cet astronaute mort, destiné à errer sans fin dans l'univers...

A la fin du générique, le silence envoûté se poursuivait encore, les gens étaient bouleversés.
Personne ne quittait son fauteuil. Ne bougeait, ni ne parlait.
Tous immobiles. Refusant de quitter ce Voyage dans le cosmos et l’éternité.
On avait basculé « de l’autre côté du miroir », ensemble.
Nous sommes restés ainsi dix minutes, unis par ce silence dans la pénombre. Chacun d’entre nous était relié aux autres, dans un état de transe mentale.

L’orage violent et la pluie diluvienne nous ont accueillis à la sortie, sur le parvis.
Stanley Kubrick n’était plus de notre monde, mais la fureur émotionnelle nous poursuivait...

« J'ai essayé de créer une expérience visuelle, qui contourne l'entendement et ses constructions verbales, pour pénétrer directement l'inconscient avec son contenu émotionnel et philosophique. J'ai voulu que le film soit une expérience intensément subjective qui atteigne le spectateur à un niveau profond de conscience, juste comme la musique. » Stanley Kubrick

Eve Brian, scénariste et réalisatrice


Le regard de ma mère
Cinéma des Cinéastes, Paris

Dublin, le 16 août 2022
Je n’ai pas le souvenir enfant d’avoir été au cinéma avec mes parents. 
Je n’en ai pas le souvenir car cela n’a pas existé. 
Le cinéma chez nous ça passe par la télé. Nous sommes des dévoreurs de cassettes VHS. Loin de m’éloigner de la salle de cinéma, le vidéoclub est alors une véritable passerelle vers ma cinéphilie. 

Printemps 2008. J’ai 37 ans et pour la première fois de ma vie, je suis dans une salle de cinéma en compagnie de ma mère. Dans le cadre des "week-end du court" mon deuxième court-métrage est projeté au Cinéma des Cinéastes. Elle est là, assise au milieu des autres spectateurs, probablement impressionnée par cette grande et belle salle Etienne-Jules Marey et son imposante structure métallique par Gustave Eiffel. Je ne sais plus si je me suis assis prés d’elle… Peut-être n’ai je pas osé. 

Je me souviens par contre de la voir sortir de cette salle de cinéma si familière pour moi, si étrangère pour elle. Elle voulait me dire quelques mots comme tout le monde. Je la revois se tenir devant moi, avec la maladresse des gens qui ne savent pas dire… Alors elle n’a rien dit. Elle m’a juste pris la main, puis le bras qu’elle a serré très fort. Et puis il y eut ce regard. Le regard d'une mère, plein de fierté et d’émotion. 

Plus jamais je n’ai revu ma mère dans une salle de cinéma. Plus jamais je ne la verrai dans une salle de cinéma… Ou ailleurs. 

Je me suis assis tant de fois dans cette salle du Cinéma des Cinéastes, seul, avec mes enfants, avec un ami… Il y a quelques jours encore avec ma femme. C’est mon cinéma de quartier. Cette salle m’a offert d’innombrables et précieux souvenirs de films. C’est pourtant en dehors de son écran que s’est à jamais inscrit dans ma mémoire la plus belle des images : le regard de ma mère.


Hedi Sassi, scénariste et réalisateur


Fin avril 2021, j'ai eu beaucoup de chance, j'ai pu aller au cinéma.

C'était la première fois depuis la fermeture généralisée d'octobre, pour la projection presse d'un film qui devait sortir pendant l'été. Ce vendredi matin, je crois que nous étions moins de dix dans la salle et j'ai eu l'écran presque pour moi tout seul. Pour la première fois depuis des mois, je me suis retrouvé face à des visages qui faisaient la taille d'un mur. Leurs plus simples expressions m'ont bouleversé ; c'était comme le retour soudain d'une petite part de mon humanité qui s'était enfuie à bas bruit, sans même que je m'en sois rendu compte.

Yacine Badday, scénariste


J’ai toujours aimé la nuit. Avec elle, le chaos et le surgissement des lumières.

Quand les salles de cinéma s’éteignent, je retrouve un peu de cette obscurité par laquelle il faut passer, pour rentrer dans les terres de l’imaginaire. A la différence que nous ne sommes pas seul.es, mais nombreux.ses, face à la nuit. Nous nous tenons, là, côte à côte, incognito, rassemblé.es miraculeusement dans une attente enfantine d’évasion. Rentrer dans une salle de cinéma, c’est faire table rase du paysage quotidien. Déposer les armes au seuil. Dans ce noir si dense, par contraste avec les lumières de la ville qu’on vient tout juste de quitter, le film surgit, et avec lui, la certitude qu’il nous faudra pénétrer complètement, absolument, dans la tranche de vie qu’on nous propose. Pas de demi-mesure. Rien qu’un mouvement continu, et la musique qui en découle. Il me semble que c’est dans cet abandon, qu’il est encore possible de s’émerveiller. 

Mais la magie, c’est sans doute ce lien puissant qui se crée avec les autres, quand l’émotion étreint le corps, et se manifeste à coups de larmes ou de rires, parfois si difficiles à dissimuler. C’est une intensité propre à la salle de cinéma, parce je suis soudain reliée à des âmes dont je ne sais rien, si ce n’est qu’on est traversé ensemble et pour un temps donné, par le même film. L’autre, caché.e dans l’ombre de la salle, devient témoin d’une émotion parfois si forte, qu’elle en est presque douloureuse, et par sa présence, iel devient un soutien précieux pour qui se retrouve submergé.e. C’est peut-être ce qui m’émeut le plus : la possibilité d’être submergée, parce que toutes les conditions sont réunies pour nous permettre de nous évader à plusieurs, alors que nous étions étranger.es en rentrant dans la pièce. La salle de cinéma est ce lieu précieux où la nuit reprend ses droits et où il est possible de faire lien, dans le silence et l’invisible. C’est à mon sens, une traversée collective qui, en favorisant l’immersion, nous pousse le temps d’un film, à élargir nos horizons. Nous devenons secrètement des promeneu.r.ses. 


Lou du Pontavice, scénariste
La femme du sable de Teshigahara - film fétiche de Lou du Pontavice


Aout 2022. Mes deux derniers films.

Max Linder. Nope. Lundi 15 Août. 21h. Le film est beau et enthousiasmant. Sur les grands boulevards, un brouhaha nous accueille. Les spectateurs, heureux, discutent du film, par grappe sur le trottoir. Ils traînent devant le cinéma, n’ont pas envie de partir, de rompre le charme car nous sommes tous encore dans le film. 

7 Août. Courts métrages enfants au MK2 Quai de Seine. Mon garçon de 3 ans 1/2 me chuchote : quand le film commence, je vais m’enfuir dans l’écran.

Seul l’écran d’une salle de cinéma est suffisamment grand pour nous accueillir. 


Marianne Tardieu, scénariste et réalisatrice
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