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Entretiens du SCA

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Scénariste : Comment on commence ? (1) Clara Bourreau

Mathilde Aplincourt, scénariste membre du SCA, est allée à la rencontre de Clara Bourreau pour évoquer ses débuts de scénariste.


MATHILDE APLINCOURT : Comment t’es-tu formée à l’écriture ? 

CLARA BOURREAU :
J’ai eu envie d’être scénariste au début de l’adolescence, et en voyant des films, mais c’est venu par l’écriture et pas par l’image en fait. A l’époque je lisais « L’avant-scène », des scénarios édités des films que j’allais voir. J’ai grandi en province, je me suis dit que la seule solution c’était une école, et il n’y avait que la Fémis à l’époque. Intimement et concrètement, ce que je sais c’est que … ce qu’on apprend à l’école, ou dans des livres, ou en regardant des films, ce n’est pas la même chose que quand on l’éprouve : on apprend en écrivant. Ce que l’école m’a appris, c’est à écrire tous les jours. C’est un muscle, c’est comme de la gymnastique, il ne faut pas avoir peur de la page blanche, et puis l’école m’a aussi appris à commencer à travailler avec des gens. Recevoir les idées des autres, les critiques, tout en sachant défendre son point de vue, c’est un long apprentissage qui pour moi a commencé à l’école.

MA : Comment s’est passée ta sortie d’école ? 

CB :
À l’époque (je crois que ça a changé) on était pas du tout aidés. Rentrer dans une école c’est bien, en sortir c’est mieux. Dans ma promo, on était deux filles, les deux plus jeunes, Anne Viau (qui est maintenant directrice de la fiction à TF1) et moi et on avait très peur de ne pas réussir à s’insérer professionnellement. On s’est dit qu’il nous fallait d’autres cartes de visite que le long-métrage qu’on avait chacune écrit en dernière année à la Fémis. Le long-métrage nous a permis de trouver une agent, Catherine Winckelmuller, chez qui je suis encore, et un agent ça aide à s’insérer. 

On est sorti en 2003 avec Anne, et à cette époque on savait qu’en télé il y avait plus de travail. On a écrit plusieurs projets télé ensemble, ce qui a fait qu’on a rapidement rencontré des producteurs en télé. J’ai vraiment commencé à gagner ma vie en télé. En parallèle je travaillais avec Lucie Borleteau sur ses courts métrages, et avec plein d’autres gens sur des courts métrages. C’est comme ça que j’ai appris mon métier. La télé a continué à m’apprendre une rigueur, une discipline de travail. Quand on commence à la télé (et même après !) on passe des castings, il faut savoir parler au producteur et comprendre ce qu’il veut, ça pour le coup on n’avait pas appris à l’école … Et après, avec Anne on était très différentes, mais du coup très complémentaires, et c’était une richesse, on en avait conscience. Au début, on ne choisissait pas trop, on allait là où on nous payait. Après, une fois qu’on gagne sa vie, vient le temps où on peut choisir ce sur quoi on va travailler.

En télé ça a été relativement rapide, mais au cinéma ça a été plus long de m’insérer. La télé c’est aussi très chronophage, on a commencé assez vite sur des grosses séries avec Anne, on avait une force de travail assez conséquente à nous deux. Ce n’est pas forcément le cas quand les réalisateurs débutent, surtout qu’ils ont souvent un travail à côté aussi. Au début c’est des rendez-vous, pour discuter, du ping-pong, et chaque projet a sa méthode, selon la manière de travailler des réalisateurs. Il y avait des moments où je me sentais un peu débordée par la télé, et d’autres où au contraire je me disais « allez, tu as du temps, lance des projets … » Jongler entre les deux, trouver l’équilibre et savoir quand il faut refuser une proposition, pour moi, aujourd’hui encore, c’est le plus délicat. Là je crois que j’ai trouvé ma routine, j’en parle très ouvertement et très clairement avec les réalisateur.trice.s que je rencontre et avec qui je travaille. 

MA : Comment s’est passée la rencontre avec ton agent ?

CB :
Dès qu’on a commencé à travailler en télé, il nous fallait un agent avec Anne. On devait signer une commande, des épisodes d’une série policière, et des options pour des projets à nous. D’ailleurs cet équilibre d’avoir des projets personnels et des commandes c’est assez sain pour des scénaristes je crois. Donc, un producteur nous a parlé de cette agence, parce qu’en télé il n’y pas de producteurs qui signent sans agent ou sans avocat je crois. On m’avait dit que c’était une petite agence, avec un vrai suivi. C’est le cas. Si j’envoie un texte à lire à Catherine, je sais que deux jours après je peux l’appeler, et elle a un avis, un point de vue. Elle ne me dit pas que c’est formidable à chaque fois et je lui fait entièrement confiance (là par exemple, sur un projet qui est en V3, elle trouve qu’on a reculé, que c’était mieux avant, qu’on s’est perdues. et je crois qu’elle a raison !)

Elle se décide sur des textes, on avait envoyé nos longs-métrages de fin d’études Fémis, et d’autres projets, très différents les uns des autres. Elle a vu qu’on avait plein d’envies, et elle a décidé de nous représenter. C’était assez rare (il y a 20 ans) des gens qui voulaient travailler à la fois en télé et en cinéma. Je ne saurais pas faire que l’un ou l’autre, l’un nourrit l’autre, c’est une richesse, mais tous les scénaristes n’aiment pas faire les deux, je ne travaille pas de la même manière en télé ou en cinéma. 

C’est absolument nécessaire d’avoir un agent. Ça permet de faire le point régulièrement et d’avoir quelqu’un à qui parler quand c’est compliqué. On se voit deux ou trois fois par an et on échange au moins un mail par semaine, on s’appelle. Je lui fais lire tous les projets que j’écris, ce qui part en chaîne, et les projets cinéma une fois dialogués (ou plus tôt si je galère sur un point précis). 

MA : Combien de temps ça a pris pour que tu puisses choisir les projets sur lesquels tu voulais travailler ? 

CB : Pas si long que ça en fait. Dans les propositions qu’on nous a faites à Anne et moi, assez vite il y a eu des projets vraiment chouettes. Après, il y a un apprentissage qui est au moins aussi long que celui de l’écriture, c’est se mettre d’accord très vite avec le producteur sur ce qu’on veut faire. Il y a eu plusieurs projets où on pensait qu’on était d’accord, et en fait on n’avait pas du tout le même projet en tête... compliqué. Dans ces cas là, mieux vaut partir avant qu’on nous montre la porte. C’est compliqué, aujourd’hui encore, ces histoires de points de vue. 

Assez vite donc, avec Anne, on a gagné nos vies, et on savait que c’était vraiment plus facile en télé qu’au cinéma, encore plus dans le cinéma d’auteur où le Minimum Garanti est très faible, avec parfois des pourcentages qui font que tu touches de l’argent seulement au premier jour de tournage. Et qui est en risque à part l’auteur ? Si le film ne se fait pas, tu touches un Minimum Garanti vraiment dérisoire. ça bouge un peu, grâce au SCA notamment. Désormais je me sens autorisée à dire : « Non, je ne veux pas 50% au premier jour de tournage »

MA : Parce que tu as l’impression que le système change ou que toi tu es plus en mesure de négocier ? 

CB :
Un peu les deux … Par exemple si un producteur me propose de travailler avec lui, sachant que sur le précédent projet j’ai accepté ces 50% au premier jour de tournage, pour cette deuxième collaboration, je ne l’accepte pas. Parce que je l’ai déjà fait … Mais je l’ai accepté pour un premier long, de quelqu’un que j’avais aidé sur son court-métrage, bon, aussi parce que c’est une copine. C’est vraiment complexe ces questions, ça fait partie des enjeux syndicaux et des conversations à avoir avec son agent, parce que de manière général c’est elle qui négocie, et moi je dis si je suis d’accord ou pas.

MA : Comment as-tu rencontré tes coauteurs, coautrices ? 

CB :
Ecrire toute seule, je le fais rarement : c’est tellement plus long et plus difficile (et souvent, c’est moins bien !). Là, les rares projets que j’ai seule, c’est vraiment à la première étape, le temps de sortir les personnages, l’histoire, les enjeux, pour ensuite pouvoir les partager. Et encore, je dis seule, mais c’est accompagnée par des producteurs. 

J’ai pris l’habitude de travailler avec des coauteurs, autrices, et on se décide ensemble sur les projets. On sait qu’on travaille bien ensemble. Dans la plupart des cas on s’est rencontré par hasard, et on est devenu ami.es en travaillant ensemble. Il faut aimer ce que les autres font, aimer ce qu’ils écrivent, avoir l’impression d’avancer ensemble, plus vite, plus loin. 

Avec Anne, on était quasiment en exclusivité l’une envers l’autre tant qu’elle était scénariste. Ensuite elle est rentrée à TF1 comme conseillère et aujourd’hui, elle est directrice de la fiction. En ce moment en télé je travaille beaucoup avec Raphaëlle Roudaut et Cécile Lugiez. On s’entend bien, on travaille bien. Spontanément, quand on me propose un truc, je me dis « Ah j’irai bien avec Raphaëlle sur ce projet, ou Cécile » ça dépend du projet … 

Après c’est vrai que le cinéma, c’est plus long mais les gens avec qui j’ai travaillé récemment j’ai bien envie de continuer avec eux… Ce que je n’aime pas, que je souhaite ne pas revivre, c’est écrire sans savoir qui va réaliser. 

Pour l’insertion professionnelle, une manière de rentrer dans le milieu c’est aussi de faire de la consultation (et ça, y a souvent du travail parce que pas mal de réalisateurs aiment bien parce qu’à la fin ça reste « écrit et réalisé par … »). Après, la frontière est très poreuse entre consultation et coécriture. Moi je n’arrive pas à rester générale, dans le conceptuel, et je suis très admirative des scénaristes qui savent le faire, juste ouvrir une nouvelle porte, allumer une lumière, sans rentrer dans les détails. Moi, quand je fais des consultations, très vite, je rentre dans des idées structurelles, des idées de contenu de scènes, de personnages, d’enjeux. 

MA : Comment t’organises-tu entre les différents projets ? 

CB :
J’essaye de ne pas avoir de rendez-vous le matin, parce que ce sont mes meilleures heures de concentration. Ou alors c’est un rendez-vous d’écriture, par exemple avec Chloé Mazlo on se voyait quasiment tous les lundis matins pour avancer, et après on repartait en écriture, et on se disait, tu m’envoies ça mercredi, puis je rebondis, pour avoir deux passes avant le lundi suivant …

Il y avait un synopsis, qu’on a aménagé, puis le séquencier, puis la continuité dialoguée. À chaque étape il faut ajuster, remettre en question les choses … Après ce qui était confortable sur ce projet, c’est que c’est un conte. Il y a un début, une fin. Quand je suis arrivée, il y avait les 4 personnages principaux, un début et une fin : c’était facile d’avancer. Parfois cette routine ne tenait pas mais c’était quand même assez régulier. 

En parallèle de ce projet, j’ai travaillé avec Laurent Micheli. C’était très différent car c’était une adaptation, on faisait des visio car il vit à Bruxelles. J’y suis allée pour repasser sur tout avant des gros rendus prods. Ce sont des moments très denses, de 9h à 19h on travaillait et à 20h j’étais au lit. C’était dense mais génial aussi. C’était une adaptation avec un énorme travail sur les personnages, la structure, la fin … Sans parler de tout le travail habituel technique d’articulation, de rythme …

C’était deux projets très très différents et c’était très stimulant. J’ai aussi beaucoup travaillé en télé, par contre sur mes projets à moi j’étais un peu en panne, ça m’a fait du bien de travailler pour d’autres.

Fidelio, l'Odyssée d'Alice, réalisé par Lucie Borleteau

MA : Quelle est ta routine d’écriture ?

CB :
De manière générale, j’aime mieux travailler seule à mon bureau le matin, ou avec un coscénariste ou un réalisateur. Après il y a toujours l’heure molle du début d’après-midi. Je ne fais pas trop de pause, je ne suis pas sur les réseaux sociaux, donc quand je travaille, je travaille quoi. Après, à partir de 16h30 jusqu’à en gros 21h c’est l’heure des enfants. Et après, souvent je re-bosse : de 21h à 23h, je suis très efficace en rédaction, mais pas du tout en réflexion. Ce que j’ai préparé le matin, en dialogue, je sais que je vais bien le dialoguer le soir de 21h à 23h. Par contre lire, avoir du recul critique, ou juste des idées je ne peux pas … Des fois ça bloque, j’arrive à rien, puis sur un autre projet j’ai juste à relire avant d’envoyer à mon co-auteur et voilà … Quand je bloque, j’aimerais bien me dire « allez, prends-toi 2 heures, va au cinéma ». Ça c’est quelque chose que je n’ai jamais réussi à faire … Quand je bloque, je lis, la presse par exemple, j’écoute la radio mais je ne m’autorise pas (depuis le temps !) à sortir…

Il faut aussi garder du temps pour écrire, pour lire et réfléchir. Après, parfois c’est se voir tous les matins pendant un mois quand il faut sortir des personnages ex-nihilo. 

Avec Lucie, sur A Mon seul désir, on était allées au Moulin d’Andé, ça a donné un coup d’accélérateur. Une fois que la structure est bien en place, c’est facile pour moi d’avancer. Ça c’est la rigueur acquise de la télé : en télé on ne peut pas dialoguer si on ne sait pas exactement ce qui se passe dans chaque épisode. D’abord on pense les personnages (et ça peut prendre du temps) ensuite on fait une structure en béton armé, puis on nourrit les scènes, et ensuite on dialogue. On sait qui sont les personnages, les enjeux, ce qu’ils doivent traverser. En télé ça ne se passe que comme ça, en tout cas je n’ai jamais travaillé différemment. Mais il y a des projets de cinéma, quand on est au milieu, on ne sait pas encore comment ça va se terminer, ça arrive souvent qu’on change de personnage principal. Ou alors un film où il y a plusieurs intrigues, l’une devient plus importante que l’autre, ou encore on a des dialogues, dont on sait qu’ils sont pas mal, et on ne sait pas quand ils vont être dits, par qui.

Chaque étape bordélise les autres : les dialogues bordélisent la structure, le tournage bordélise le scénario, le montage va bordéliser le tournage …

Je crois beaucoup au multi-couches, c’est ce que j’aime dans le travail à plusieurs, je passe sur cette scène, puis le réalisateur repasse dessus. On pense qu’on est au bout d’un truc super, on fait lire... et on repart au travail après des retours de lecture (et un peu de recul).

MA : Tu as travaillé régulièrement avec Lucie Borleteau, que permet cette fidélité à une réalisatrice ? 

CB :
Ça permet un vrai confort, sur le résultat. Quand on est scénariste, on peut être déçu par un résultat, on pensait voir les choses de la même manière et puis non. Avec Lucie, je suis assez tranquille. Par exemple, sur A mon seul désir, il y avait beaucoup d’enjeux à l’écriture (bon, au jeu, à l’image, au son, au montage aussi), c’était très chargé, mais au final tout est tenu. Je me raconte que c’était possible parce que c’était Lucie, je savais que tel truc pas simple, ça n’allait pas être sale ou moche, que ça allait vraiment rester drôle, hyper émouvant, sensuel … C’est aussi un film avec deux personnages, moi j’avais très envie d’en défendre une, et Lucie préférait l’autre, ça c’est super.

Evidemment, c’est plus facile quand ce n’est pas un premier film, parce qu’un premier film tout le monde apprend. 

J’aime pas trop quand les scénaristes sont ramenés à « machin il est très fort en structure, mais en dialogue laisse tomber … ». C’est pas vrai que les scénaristes de cinéma ne font que de la technique, ceux qui coécrivent, ils coécrivent vraiment : les répliques, certains enjeux de personnages, des idées de scènes etc … C’est comme si on disait que le chef op n’est qu’un technicien. Pour moi ce n’est pas que ça. Il y a des monteurs et monteurs sons qui sauvent des films, pour de vrai. C’est pas juste appuyer sur des boutons et savoir où couper. 

Fidelio, l’odyssée d’Alice c'est ma première écriture de long-métrage qui a abouti. Avec Lucie on s’est rencontrées quand elle était lycéenne et moi en prépa à Nantes. On est toujours restées en contact. Elle me parlait d’une amie cheffe mécanicienne sur des cargos, au début elle voulait faire un documentaire. Lucie a commencé à travailler chez Why Not, et en parallèle on écrivait. Il y avait l’enjeu du bateau, son dernier voyage, l’enjeu intime d’Alice… En fin d’écriture, on a eu un retour qui nous a permis de trouver une intrigue souterraine qui faisait du lien. Lucie aime bien rencontrer des personnes sources, elle fait des interviews, et ça fait une grosse base documentaire, et à partir de ça on construit, on parle beaucoup, on fait des hypothèses.

Pareil pour A mon seul désir, on est allées ensemble dans un club à Paris. C’était important de voir, de sentir. Je ne veux pas mythifier, c’est pas le plus important, mais ça participe à l’écriture de s’imprégner de choses très vraies. 

MA : Tu as l’impression que vous avez grandi ensemble ? 

CB :
Un peu oui ! Là on se voit mercredi pour parler d’un projet de film. Je ne sais pas ce que ça va devenir, mais on va s’en parler. 


Entretien réalisé en juin 2022

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Merci de citer le SCA-Scénaristes de Cinéma Associés pour toute reproduction

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